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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/427

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de cette humble barrière jusqu’aux pièges que les chasseurs leur ont préparés[NdÉ 1].

Ils vivent des chatons des feuilles et des jeunes pousses de pin, de bouleau, de bruyère, de myrtille et d’autres plantes qui croissent ordinairement sur les montagnes[1] ; et c’est sans doute à la qualité de leur nourriture qu’on doit imputer cette légère amertume qu’on reproche à leur chair[2], laquelle est d’ailleurs un bon manger : on la regarde comme viande noire, et c’est un gibier très commun, tant sur le mont Cenis que dans toutes les villes et villages à portée des montagnes de Savoie[3] ; j’en ai mangé, et je lui trouve beaucoup de ressemblance pour le goût avec la chair du lièvre.

Les femelles pondent et couvent leurs œufs à terre, ou plutôt sur les rochers[4] ; c’est tout ce qu’on sait de leur façon de se multiplier : il faudrait avoir des ailes pour étudier à fond les mœurs et les habitudes des oiseaux, et surtout de ceux qui ne veulent point se plier au joug de la domesticité, et qui ne se plaisent que dans des lieux inhabitables.

Le lagopède a un très gros jabot, un gésier musculeux où l’on trouve de petites pierres mêlées avec les aliments ; les intestins longs de trente-six à trente-sept pouces ; de gros cæcums cannelés et fort longs, mais de longueur inégale, selon Redi, et qui sont souvent pleins de très petits vers[5] ; les tuniques de l’intestin grêle présentent un réseau très curieux formé par une multitude de petits vaisseaux, ou plutôt de petites rides disposées avec ordre et symétrie[6] : on a remarqué qu’il avait le cœur un peu plus petit, et la rate beaucoup plus petite que l’attagas[7], et que le canal cystique et le conduit hépatique allaient se rendre dans les intestins séparément, et même à une assez grande distance l’un de l’autre[8].

Je ne puis finir cet article sans remarquer, avec Aldrovande, que, parmi les noms divers qui ont été donnés au lagopède, Gesner place celui d’urblan comme un mot italien en usage dans la Lombardie, mais que ce mot est tout à fait étranger et à la Lombardie et à toute oreille italienne : il pourrait bien en être de même de rhoncas et de herbey, autres noms que, selon le même Gesner, les Grisons, qui parlent italien, donnent aux lagopèdes. Dans la partie de la Savoie qui avoisine le Valais on les nomme arbenne, et ce mot différemment altéré par différents patois, moitié suisse, moitié grison, aura pu produire quelques-uns de ceux dont je viens de parler.


  1. Willughby, p. 127 ; Klein, p. 116.
  2. Gesner, p. 578.
  3. Belon, p. 259.
  4. Gesner, p. 578 ; Rzaczynski, p. 411.
  5. Collect. Acad., partie étrangère, t. Ier, p. 520.
  6. Voyez Klein, p. 117 ; et Willughby, p. 127, no 5.
  7. Roberg. apud Kleinum Hist. Avi., p. 117.
  8. Redi, Collect. Acad., partie étrangère, t. Ier, p. 467.
  1. Les chasseurs norvégiens appellent le mâle en imitant le cri de la femelle.