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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/426

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serait pas raisonnable d’en faire le caractère de l’espèce. Je me crois donc fondé à séparer le lagopède des Alpes, des Pyrénées et autres montagnes semblables, d’avec les oiseaux de même genre qui se trouvent dans les forêts et même dans les plaines des pays septentrionaux, et qui paraissent être plutôt des tétras, des gelinottes ou des attagas ; et en cela je ne fais que me rapprocher de l’opinion de Pline, qui parle de son lagopus comme d’un oiseau propre aux Alpes.

Nous avons vu ci-dessus que le blanc était sa livrée d’hiver ; celle d’été consiste en des taches brunes, semées sans ordre sur un fond blanc : on peut dire néanmoins qu’il n’y a point d’été pour lui, et qu’il est déterminé par sa singulière organisation à ne se plaire que dans une température glaciale ; car, à mesure que la neige fond sur le penchant des montagnes, il monte et va chercher sur les sommets les plus élevés celle qui ne font jamais ; non seulement il s’en approche, mais il s’y creuse des trous, des espèces de clapiers, où il se met à l’abri des rayons du soleil qui paraissent l’offusquer ou l’incommoder[1]. Il serait curieux d’observer de près cet oiseau, d’étudier sa conformation intérieure, la structure de ses organes, de démêler pourquoi le froid lui est si nécessaire, pourquoi il évite le soleil avec tant de soin, tandis que presque tous les êtres animés le désirent, le cherchent, le saluent comme le père de la nature, et reçoivent avec délices les douces influences de sa chaleur féconde et bienfaisante : serait-ce par les mêmes causes qui obligent les oiseaux de nuit à fuir la lumière ? ou les lagopèdes seraient-ils les chacrelas de la famille des oiseaux ?

Quoi qu’il en soit, on comprend bien qu’un oiseau de cette nature est difficile à apprivoiser, et Pline le dit expressément, comme nous l’avons vu : cependant Redi parle de deux lagopèdes qu’il nomme perdrix blanches des Pyrénées, et qu’on avait nourries dans la volière du jardin de Boboli, appartenant au grand-duc[2].

Les lagopèdes volent par troupes, et ne volent jamais bien haut, car ce sont des oiseaux pesants : lorsqu’ils voient un homme, ils restent immobiles sur la neige pour n’être point aperçus ; mais ils sont souvent trahis par leur blancheur, qui a plus d’éclat que la neige même. Au reste, soit stupidité, soit inexpérience, ils se familiarisent assez aisément avec l’homme ; souvent, pour les prendre, il ne faut que leur présenter du pain, ou même faire tourner un chapeau devant eux et saisir le moment où ils s’occupent de ce nouvel objet pour leur passer un lacet dans le cou ou pour les tuer par derrière à coups de perches[3] ; on dit même qu’ils n’oseraient jamais franchir une rangée de pierres alignées grossièrement, comme pour faire la première assise d’une muraille, et qu’ils iront constamment tout le long

  1. Belon, p. 259.
  2. Voyez Collect. Acad., partie étrangère, t. Ier, p. 520.
  3. Gesner, p. 578.