Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/43

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Pour donner quelque idée de la durée et de la continuité du mouvement des oiseaux, et aussi de la proportion du temps et des espaces qu’ils ont coutume de parcourir dans leurs voyages, nous comparerons leur vitesse avec celle des quadrupèdes dans leurs plus grandes courses naturelles ou forcées : le cerf, le renne et l’élan peuvent faire quarante lieues en un jour ; le renne, attelé à un traîneau, en fait trente, et peut soutenir ce même mouvement plusieurs jours de suite ; le chameau peut faire trois cents lieues en huit jours ; le cheval élevé pour la course, et choisi parmi les plus légers et les plus vigoureux, pourra faire une lieue en six ou sept minutes, mais bientôt sa vitesse se ralentit, et il serait incapable de fournir une carrière un peu longue qu’il aurait entamée avec cette rapidité. Nous avons cité l’exemple de la course d’un Anglais, qui fit en onze heures trente-deux minutes soixante-douze lieues en changeant vingt et une fois de cheval ; ainsi les meilleurs chevaux ne peuvent pas faire quatre lieues dans une heure, ni plus de trente lieues dans un jour. Or la vitesse des oiseaux est bien plus grande, car en moins de trois minutes on perd de vue un gros oiseau, un milan qui s’éloigne, un aigle qui s’élève et qui présente une étendue dont le diamètre est de plus de quatre pieds : d’où l’on doit inférer que l’oiseau parcourt plus de sept cent cinquante toises par minute, et qu’il peut se transporter à vingt lieues dans une heure : il pourra donc aisément parcourir deux cents lieues tous les jours en dix heures de vol, ce qui suppose plusieurs intervalles dans le jour, et la nuit entière de repos. Nos hirondelles et nos autres oiseaux voyageurs peuvent donc se rendre de notre climat sous la ligne en moins de sept ou huit jours. M. Adanson[1] a vu et tenu, à la côte du Sénégal, des hirondelles arrivées le 9 octobre, c’est-à-dire huit ou neuf jours après leur départ d’Europe. Pietro della Valle dit qu’en Perse[2] le pigeon messager fait en un jour plus de chemin qu’un homme de pied ne peut en faire en six. On connaît l’histoire du faucon de Henri II, qui, s’étant emporté après une canepetière à Fontainebleau, fut pris le lendemain à Malte, et reconnu à l’anneau qu’il portait ; celle du faucon des Canaries[3], envoyé au duc de Lerme, qui revint d’Andalousie à l’île de Téneriffe en seize heures, ce qui fait un trajet de deux cent cinquante lieues. Hans Sloane[4] assure qu’à la Barbade les mouettes vont se promener en troupes à plus de deux cents milles de distance, et qu’elles reviennent le même jour. Une promenade de plus de cent trente lieues indique assez la possibilité d’un voyage de deux cents ; et je crois qu’on peut conclure, de la combinaison de tous ces faits, qu’un oiseau de haut vol peut parcourir

  1. Voyage au Sénégal, par M. Adanson.
  2. Voyage de Pietro della Valle, t. I, p. 416.
  3. Observ. de Sir Edmund Scoty. Voyez Purchass, p. 785.
  4. A voyage to the Islands…, with the natural History, by Sir Hans Sloane. London, t. I, page 27.