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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/435

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sans cesse remplacés par d’autres reflets et d’autres nuances toujours diverses et toujours admirables.

Le paon ne semble alors connaître ses avantages que pour en faire hommage à sa compagne, qui en est privée sans en être moins chérie, et la vivacité que l’ardeur de l’amour mêle à son action ne fait qu’ajouter de nouvelles grâces à ses mouvements, qui sont naturellement nobles, fiers et majestueux, et qui, dans ces moments, sont accompagnés d’un murmure énergique et sourd qui exprime le désir[1].

Mais ces plumes brillantes, qui surpassent en éclat les plus belles fleurs, se flétrissent aussi comme elles, et tombent chaque année[2] ; le paon, comme s’il sentait la honte de sa perte, craint de se faire voir dans cet état humiliant, et cherche les retraites les plus sombres pour s’y cacher à tous les yeux, jusqu’à ce qu’un nouveau printemps, lui rendant sa parure accoutumée, le ramène sur la scène pour y jouir des hommages dus à sa beauté : car on prétend qu’il en jouit en effet, qu’il est sensible à l’admiration, que le vrai moyen de l’engager à étaler ses belles plumes, c’est de lui donner des regards d’attention et des louanges et que, au contraire, lorsqu’on paraît le regarder froidement et sans beaucoup d’intérêt, il replie tous ses trésors et les cache à qui ne sait point les admirer.

Quoique le paon soit depuis longtemps comme naturalisé en Europe, cependant il n’en est pas plus originaire : ce sont les Indes orientales, c’est le climat qui produit le saphir, le rubis, la topaze, qui doit être regardé comme son pays natal ; c’est de là qu’il a passé dans la partie occidentale de l’Asie, où, selon le témoignage positif de Théophraste, cité par Pline, il avait été apporte d’ailleurs[3], au lieu qu’il ne paraît pas avoir passé de la partie la plus orientale de l’Asie, qui est la Chine, dans les Indes ; car les voyageurs s’accordent à dire que, quoique les paons soient fort communs aux Indes orientales, on ne voit à la Chine que ceux qu’on y transporte des autres pays[4], ce qui prouve au moins qu’ils sont très rares à la Chine.

Élien assure que ce sont les barbares qui ont fait présent à la Grèce de ce bel oiseau[5] ; et ces barbares ne peuvent guère être que les Indiens, puisque c’est aux Indes que Alexandre, qui avait parcouru l’Asie, et qui connaissait bien la Grèce, en a vu pour la première fois[6] : d’ailleurs, il n’est point de pays où ils soient plus généralement répandus et en aussi grande

  1. « Cum stridore procurrens. » Palladius, de Re rusticâ, lib. i, cap. xxviii.
  2. « Amittit pennas cum primis arborum frondibus, recipit cum germine carumdem. » Aristote, Hist. animal., lib. vi, cap. ix.
  3. « Quippe cùm Theophrastus tradat invectitias esse in Asiâ etiam columbas et pavones. » Plinii Hist. nat., lib. x, cap. xxix.
  4. Navarrette, Description de la Chine, p. 40 et 42.
  5. « Ex Barbaris ad Græcos exportatus esse dicitur, primum autem diu rarus. » Élien, Hist. animal., lib. v, cap. xxi.
  6. Idem, ibidem.