Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/438

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rares, et où l’on n’en trouve point dans l’état de sauvages, mais bien des côtes d’Asie où ils abondent, où ils vivent presque partout en liberté, où ils subsistent et se multiplient sans le secours de l’homme, où ils ont plus de grosseur, plus de fécondité que partout ailleurs, où ils sont, en un mot, comme tous les animaux dans leur climat naturel.

Des Indes ils auront facilement passé dans la partie occidentale de l’Asie : aussi voyons-nous, dans Diodore de Sicile, qu’il y en avait beaucoup dans la Babylonie ; la Médie en nourrissait aussi de très beaux et en si grande quantité que cet oiseau en a eu le surnom d’avis medica[1]. Philostrate parle de ceux du Phase, qui avaient une huppe bleue[2], et les voyageurs en ont vu en Perse[3].

De l’Asie ils ont passé dans la Grèce, où ils furent d’abord si rares qu’à Athènes on les montra pendant trente ans à chaque néoménie comme un objet de curiosité, et qu’on accourait en foule des villes voisines pour les voir[4].

On ne trouve pas l’époque certaine de cette migration du paon de l’Asie dans la Grèce ; mais il y a preuve qu’il n’a commencé à paraître dans ce dernier pays que depuis le temps d’Alexandre, et que sa première station au sortir de l’Asie a été l’île de Samos.

Les paons n’ont donc paru dans la Grèce que depuis Alexandre ; car ce conquérant n’en vit pour la première fois que dans les Indes, comme je l’ai déjà remarqué, et il fut tellement frappé de leur beauté qu’il défendit de les tuer sous des peines très sévères ; mais il y a toute apparence que peu de temps après Alexandre, et même avant la fin de son règne, ils devinrent fort communs ; car nous voyons dans le poète Antiphanes, contemporain de ce prince, et qui lui a survécu, qu’une seule paire de paons apportée en Grèce s’y était multipliée à un tel point qu’il y en avait autant que de cailles[5] : et d’ailleurs Aristote, qui ne survécut que deux ans à son élève, parle en plusieurs endroits des paons comme d’oiseaux fort connus.

En second lieu, que l’île de Samos ait été leur première station à leur passage d’Asie en Europe, c’est ce qui est probable par la position même de cette île, qui est très voisine du continent de l’Asie ; et, de plus, cela est prouvé par un passage formel de Menodotus[6] : quelques-uns même, forçant

  1. Idem, Ornithol., t. II, p. 12.
  2. Ibidem, p. 6.
  3. Thévenot, Voyage du Levant, t. II, p. 200.
  4. « Tanta fuit in urbibus pavonis prærogativa, ut Athenis tam a viris quàm a mulieribus statuto pretio spectatus fuerit ; ubi singulis noviluniis et viros et mulieres admittentes ad hujusmodi spectaculum, ex eo fecere questum non mediocrem, multique e Lacedemone ac Thessaliâ videndi causâ eò confluxerint. » Ælian., Hist. anim., lib. v, cap. xxi.
  5. « Pavonum tantummodo per unum adduxit quispiam raram tunc avem, nunc vero plures sunt quam coturnices. »
  6. « Sunt ibi pavones Junoni sacri, primi quidem in Samo editi ac educati, indeque deducti ac in alias regiones devecti, veluti Galli e Perside et quas meleagridas vocant ex Æolia (seu Ætolia). » Vide Atheneus, lib. iv, cap. xxv.