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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/437

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rendît tous les trois ans à l’île de Sainte-Hélène, où, d’ailleurs, elle n’aurait trouvé ni or, ni argent, ni ivoire, ni presque rien de tout ce qu’elle cherchait[1] : de plus, il me paraît vraisemblable que cette île, éloignée de plus de trois cents lieues du continent, n’avait pas même de paons du temps de Salomon, mais que ceux qu’y trouvèrent les Hollandais y avaient été lâchés par les Portugais, à qui elle avait appartenu, ou par d’autres, et qu’ils s’y étaient multipliés d’autant plus facilement que l’île de Sainte-Hélène n’a, dit-on, ni bête venimeuse ni animal vorace.

On ne peut guère douter que les paons que Kolbe a vus au cap de Bonne-Espérance, et qu’il dit être parfaitement semblables à ceux d’Europe, quoique la figure qu’il en donne s’en éloigne beaucoup[2], n’eussent la même origine que ceux de Sainte-Hélène, et qu’ils n’y eussent été apportés par quelques-uns des vaisseaux européens qui arrivent en foule sur cette côte.

On peut dire la même chose de ceux que les voyageurs ont aperçus au royaume de Congo[3] avec des dindons qui certainement n’étaient point des oiseaux d’Afrique, et encore de ceux que l’on trouve sur les confins d’Angola, dans un bois environné de murs, où on les entretient pour le roi du pays[4] : cette conjecture est fortifiée par le témoignage de Bosman, qui dit en termes formels qu’il n’y a point de paons sur la côte d’Or, et que l’oiseau pris par M. de Foquembrog et par d’autres pour un paon est un oiseau tout différent, appelé kroon-vogel[5].

De plus, la dénomination de paon d’Afrique, donnée par la plupart des voyageurs aux demoiselles de Numidie[6], est encore une preuve directe que l’Afrique ne produit point de paons ; et si l’on en a vu anciennement en Libye, comme le rapporte Eustathe, c’en était sans doute qui avaient passé ou qu’on avait portés dans cette contrée de l’Afrique, l’une des plus voisines de la Judée, où Salomon en avait mis longtemps auparavant ; mais il ne paraît pas qu’ils l’eussent adoptée pour leur patrie et qu’ils s’y fussent beaucoup multipliés, puisqu’il y avait des lois très sévères contre ceux qui en avaient tué ou seulement blessé quelqu’un[7].

Il est donc à présumer que ce n’était point des côtes d’Afrique que la flotte de Salomon rapportait les paons, des côtes d’Afrique, dis-je, où ils sont fort

  1. « Aurum, argentum, dentes elephantorum, et simias et pavos. » Reg., lib. iii, cap. x, v. 22.
  2. Voyez l’Histoire générale des Voyages, t. V, pl. xxiv.
  3. Voyage de P. Van den Broeck, dans le Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la Compagnie des Indes, t. IV, p. 321.
  4. Relation de Pigafetta, p. 92 et suivantes.
  5. Voyage de Guinée, Lettre xve, p. 268.
  6. Voyez Labat, volume III, p. 141 ; et la Relation du voyage de M. de Genes au détroit de Magellan, par le sieur Froger, p. 41.
  7. Aldrovande, de Avibus, t. II, p. 5.