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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/449

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La durée de la vie du paon est de vingt-cinq ans, selon les anciens[1] ; et cette détermination me paraît bien fondée, puisqu’on sait que le paon est entièrement formé avant trois ans, et que les oiseaux en général vivent plus longtemps que les quadrupèdes, parce que leurs os sont plus ductiles ; mais je suis surpris que M. Willughby ait cru, sur l’autorité d’Élien, que cet oiseau vivait jusqu’à cent ans, d’autant plus que le récit d’Élien est mêlé de plusieurs circonstances visiblement fabuleuses[2].

J’ai déjà dit que le paon se nourrissait de toutes sortes de grains comme les gallinacés, les anciens lui donnaient ordinairement, par mois, un boisseau de froment pesant environ vingt livres[3]. Il est bon de savoir que la fleur de sureau leur est contraire[4], et que la feuille d’ortie est mortelle aux jeunes paonneaux, selon Franzius[5].

Comme les paons vivent aux Indes dans l’état de sauvages, c’est aussi dans ce pays qu’on a inventé l’art de leur donner la chasse : on ne peut guère les approcher de jour, quoiqu’ils se répandent dans les champs par troupes assez nombreuses, parce que, dès qu’ils découvrent le chasseur, ils fuient devant lui plus vite que la perdrix, et s’enfoncent dans des broussailles où il n’est guère possible de les suivre ; ce n’est donc que la nuit qu’on parvient à les prendre, et voici de quelle manière se fait cette chasse aux environs de Cambaie.

On s’approche de l’arbre sur lequel ils sont perchés, on leur présente une espèce de bannière qui porte deux chandelles allumées, et où l’on a peint des paons au naturel : le paon, ébloui par cette lumière, ou bien occupé à considérer les paons en peinture qui sont sur la bannière, avance le cou, le retire, l’allonge encore, et lorsqu’il se trouve dans un nœud coulant qui y a été placé exprès, on tire la corde et on se rend maître de l’oiseau[6].

Nous avons vu que les Grecs faisaient grand cas du paon, mais ce n’était que pour rassasier leurs yeux de la beauté de son plumage, au lieu que les Romains, qui ont poussé plus loin tous les excès du luxe parce qu’ils étaient plus puissants, se sont rassasiés réellement de sa chair ; ce fut l’orateur Hortensias qui imagina le premier d’en faire servir sa table[7], et son exemple ayant été suivi, cet oiseau devint très cher à Rome, et les empereurs renchérissant sur le luxe des particuliers, on vit un Vitellius, un Héliogabale mettre leur gloire à remplir des plats immenses[8] de têtes ou de cervelles de paons, de langues de phénicoptères, de foies de

  1. Aristot., Hist. animal., lib. vi, cap. ix. — Plin., lib. x, cap. xx.
  2. Voyez Ælian., de Naturâ animal., lib. xi, cap. xxxiii.
  3. Varro, de Re rusticâ, lib. iii, cap. vi.
  4. Linnæus, Syst. nat., édit. X, p. 156.
  5. Franzius, Hist. animal., p. 318.
  6. Voyage de J.-B. Tavernier, t. III, p. 57.
  7. Varro, de Re rusticâ, lib. iii, cap. vi.
  8. Entre autres dans celui que Vitellius se plaisait à nommer l’Égide de Pallas.