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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/452

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M. Linnæus assure en général, comme je l’ai dit plus haut, que les paons ne restent pas même en Suède de leur plein gré, et il n’en excepte point les paons blancs[1].

Ce n’est pas sans un laps de temps considérable, et sans des circonstances singulières qu’un oiseau, né dans les climats si doux de l’Inde et de l’Asie, a pu s’accoutumer à l’âpreté des pays septentrionaux : s’il n’y a pas été transporté par les hommes, il a pu y passer soit par le nord de l’Asie, soit par le nord de l’Europe. Quoiqu’on ne sache pas précisément l’époque de cette migration, je soupçonne qu’elle n’est pas fort ancienne ; car je vois d’un côté dans Aldrovande[2], Longolius, Scaliger[3] et Schwenckfeld[4], que les paons blancs n’ont cessé d’être rares que depuis fort peu de temps ; et, d’un autre côté, je suis fondé à croire que les Grecs ne les ont point connus, puisque Aristote ayant parlé, dans son Traité de la génération des animaux[5], des couleurs variées du paon, et ensuite des perdrix blanches, des corbeaux blancs, des moineaux blancs, ne dit pas un mot des paons blancs.

Les modernes ne disent rien non plus de l’histoire de ces oiseaux, si ce n’est que leurs petits sont fort délicats à élever[6] : cependant il est vraisemblable que l’influence du climat ne s’est point bornée à leur plumage, et qu’elle se sera étendue plus ou moins jusque sur leur tempérament, leurs habitudes, leurs mœurs ; et je m’étonne qu’aucun naturaliste ne se soit encore avisé d’observer les progrès, ou du moins le résultat de ces observations plus intérieures et plus profondes ; il me semble qu’une seule observation de ce genre serait plus intéressante, ferait plus pour l’histoire naturelle que d’aller compter scrupuleusement toutes les plumes des oiseaux, et décrire laborieusement toutes les teintes et demi-teintes de chacune de leurs barbes dans les quatre parties du monde.

Au reste, quoique leur plumage soit entièrement blanc, et particulièrement les longues plumes de leur queue, cependant on y distingue encore à l’extrémité des vestiges marqués de ces miroirs qui en faisaient le plus bel ornement[7], tant l’empreinte des couleurs primitives était profonde. Il serait curieux de chercher à ressusciter ces couleurs, et de déterminer par l’expérience combien de temps et quel nombre de générations il faudrait dans un climat convenable, tel que les Indes, pour leur rendre leur premier éclat.


    mais je vois dans l’Histoire générale des Voyages, t. II, p. 270, qu’on trouve des paons blancs à l’île de Madère, et cela est dit d’après Nicols et Cadamosto.

  1. « Habitat apud nostrates rarius præsertim in aviariis magnatum, non verò sponte. » Linnæus, Fauna suecica, p. 60 et 120.
  2. Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 31.
  3. Exercitatio lix, et ccxxxviii.
  4. Schwenckfeld, Aviarium Silesiæ, p. 327.
  5. Aristote, lib. v, cap. vi.
  6. Schwenckfeld, Aviarium Silesiæ, p. 327.
  7. Frisch, planche cxx.