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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/476

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Au premier coup d’œil, le mâle paraît avoir quelque rapport avec le faisan et le paon ; comme eux il a la queue longue, il l’a semée de miroirs comme le paon, et quelques naturalistes, s’en tenant à ce premier coup d’œil, l’ont admis dans le genre du faisan[1] ; mais quoique, d’après ces rapports superficiels, M. Edwards ait cru pouvoir lui donner ou lui conserver le nom de faisan-paon, néanmoins, en y regardant de plus près, il a bien jugé qu’il ne pouvait appartenir au genre du faisan : 1o parce que les longues plumes de sa queue sont arrondies et non pointues par le bout ; 2o parce qu’elles sont droites dans toute leur longueur, et non recourbées en bas ; 3o parce qu’elles ne font pas la gouttière renversée par le renversement de leurs barbes, comme dans le faisan ; 4o enfin, parce qu’en marchant il ne recourbe point sa queue en haut comme cet oiseau.

Mais il appartient encore bien moins à l’espèce du paon, dont il diffère non seulement par le port de la queue, par la configuration et le nombre des pennes dont elle est composée, mais encore par les proportions de sa forme extérieure, par la grosseur de la tête et du cou, et en ce qu’il ne redresse et n’épanouit point sa queue comme le paon[2], qu’il n’a, au lieu d’aigrette, qu’une espèce de huppe plate, formée par les plumes du sommet de la tête qui se relèvent, et dont la pointe revient un peu en avant ; enfin, le mâle diffère du coq paon et du coq faisan par un double éperon qu’il a à chaque pied, caractère presque unique d’après lequel je lui ai donné le nom d’éperonnier.

Ces différences extérieures, qui certainement en supposent beaucoup d’autres plus cachées, paraîtront assez considérables à tout homme de sens, et qui ne sera préoccupé d’aucune méthode, pour exclure l’éperonnier du nombre des paons et des faisans, encore qu’il ait comme eux les doigts séparés, les pieds nus, les jambes revêtues de plumes jusqu’au talon, le bec en cône courbé, la queue longue et la tête sans crête ni membrane : à la vérité, je sais tel méthodiste qui ne pourrait, sans inconséquence, ne pas le reconnaître pour un paon ou pour un faisan, puisqu’il a tous les attributs par lesquels ce genre est caractérisé dans sa méthode ; mais aussi un naturaliste sans méthode et sans préjugé ne pourra le reconnaître pour le paon de la nature ; et que s’ensuivra-t-il de là, sinon que l’ordre de la nature est bien loin de la méthode du naturaliste ?

En vain me dira-t-on que, puisque l’oiseau dont il s’agit ici a les principaux caractères du genre du faisan, les petites variétés par lesquelles il en diffère ne doivent point empêcher qu’on ne le rapporte à ce genre ; car je demanderai toujours qui donc ose se croire en droit de déterminer ces carac-

  1. Klein, Ordo Avium, p. 114. — Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 291, genre vii, espèce ix.
  2. M. Edwards ne dit point que cet oiseau fasse la roue ; et de cela seul je me crois en droit de conclure qu’il ne la fait point : un fait aussi considérable n’aurait pu échapper à M. Edwards ; et, s’il l’eût observé, il ne l’aurait point omis.