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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/520

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façon du soin de la famille ; de leur côté, les petits sont à peine adultes qu’ils se séparent, et, si on les réunit par force dans un lieu fermé, ils se battent à outrance les uns contre les autres, sans distinction de sexe, et ils finissent par se détruire[1].

L’inclination de voyager et de changer de climat dans certaines saisons de l’année est, comme je l’ai dit ailleurs, l’une des affections les plus fortes de l’instinct des cailles.

La cause de ce désir ne peut être qu’une cause très générale, puisqu’elle agit non seulement sur toute l’espèce, mais sur les individus même séparés pour ainsi dire de leur espèce et à qui une étroite captivité ne laisse aucune communication avec leurs semblables. On a vu de jeunes cailles élevées dans des cages presque depuis leur naissance, et qui ne pouvaient ni connaître ni regretter la liberté, éprouver régulièrement deux fois par an, pendant quatre années, une inquiétude et des agitations singulières dans les temps ordinaires de la passe, savoir, au mois d’avril et au mois de septembre. Cette inquiétude durait environ trente jours à chaque fois et recommençait tous les jours une heure avant le coucher du soleil : on voyait alors ces cailles prisonnières aller et venir d’un bout de la cage à l’autre, puis s’élancer contre le filet qui lui servait de couvercle, et souvent avec une telle violence qu’elles retombaient tout étourdies ; la nuit se passait presque entièrement dans ces agitations, et le jour suivant elles paraissaient tristes, abattues, fatiguées et endormies. On a remarqué que les cailles qui vivent dans l’état de liberté dorment aussi une grande partie de la journée ; et si l’on ajoute à tous ces faits qu’il est très rare de les voir arriver de jour, on sera, ce me semble, fondé à conclure que c’est pendant, la nuit qu’elles voyagent[2], et que ce désir de voyager est inné chez elles, soit qu’elles craignent les températures excessives, puisqu’elles se rapprochent constamment des contrées septentrionales pendant l’été et des méridionales pendant l’hiver ; ou, ce qui semble plus vraisemblable, qu’elles n’abandonnent successivement les différents pays que pour passer de ceux où les récoltes sont déjà faites dans ceux où elles sont encore à faire, et qu’elles ne changent ainsi de demeure que pour trouver toujours une nourriture convenable pour elles et pour leur couvée.

Je dis que cette dernière cause est la plus vraisemblable ; car, d’un côté, il est acquis par l’observation que les cailles peuvent très bien résister au froid, puisqu’il s’en trouve en Islande, selon M. Horrebow[3], et qu’on en a conservé plusieurs années de suite dans une chambre sans feu, et qui même

  1. Les anciens savaient bien cela, puisqu’ils disaient des enfants querelleurs et mutins, qu’ils étaient querelleurs comme des cailles tenues en cage. (Aristophane.)
  2. Les cailles prennent leur volée plutôt de nuit que de jour. Belon, Nature des oiseaux, p. 265. Et hoc semper noctu, dit Pline en parlant des volées de cailles qui, fondant toutes à la fois sur un navire pour se reposer, le faisaient couler à fond par leur poids.
  3. Voyez Horrebow, Histoire générale des voyages, t. V, p. 203.