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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/530

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Il semble que le boire ne leur soit pas absolument nécessaire, car des chasseurs m’ont assuré qu’on ne les voyait jamais aller à l’eau, et d’autres, qu’ils en avaient nourri pendant une année entière avec des graines sèches et sans aucune sorte de boisson, quoiqu’elles boivent assez fréquemment lorsqu’elles en ont la commodité : ce retranchement de toute boisson est même le seul moyen de les guérir lorsqu’elles rendent leur eau, c’est-à-dire lorsqu’elles sont attaquées d’une espèce de maladie dans laquelle elles ont presque toujours une goutte d’eau au bout du bec.

Quelques-uns ont cru remarquer qu’elles troublaient l’eau avant que de boire, et l’on n’a pas manqué de dire que c’était par un motif d’envie, car on ne finit pas sur les motifs des bêtes. Elles se tiennent dans les champs, les prés, les vignes, mais très rarement dans les bois, et elles ne se perchent jamais sur les arbres. Quoi qu’il en soit, elles prennent beaucoup plus de graisse que les perdrix : on croit que ce qui y contribue, c’est l’habitude où elles sont de passer la plus grande partie de la chaleur du jour sans mouvement ; elles se cachent alors dans l’herbe la plus serrée, et on les voit quelquefois demeurer quatre heures de suite dans la même place, couchées sur le côté et les jambes étendues ; il faut que le chien tombe absolument dessus pour les faire partir.

On dit qu’elles ne vivent guère au delà de quatre ou cinq ans, et Olina regarde la brièveté de leur vie comme une suite de leur disposition à s’engraisser[1] ; Artémidore l’attribue à leur caractère triste et querelleur[2] ; et tel est en effet leur caractère, aussi n’a-t-on pas manqué de les faire battre en public pour amuser la multitude ; Solon voulait même que les enfants et les jeunes gens vissent ces sortes de combats pour y prendre des leçons de courage ; et il fallait bien que cette sorte de gymnastique, qui nous semble puérile, fût en honneur parmi les Romains, et qu’elle tînt à leur politique, puisque nous voyons que Auguste punit de mort un préfet d’Égypte pour avoir acheté et fait servir sur sa table un de ces oiseaux, qui avait acquis de la célébrité par ses victoires. Encore aujourd’hui, on voit de ces espèces de tournois dans quelques villes d’Italie : on prend deux cailles à qui on donne à manger largement ; on les met ensuite vis-à-vis l’une de l’autre, chacune au bout opposé d’une longue table, et l’on jette entre deux quelques grains de millet (car parmi les animaux il faut un sujet réel pour se battre) ; d’abord elles se lancent des regards menaçants, puis, partant comme un éclair, elles se joignent, s’attaquent à coups de bec et ne cessent de se battre, en dressant la tête et s’élevant sur leurs ergots, jusqu’à ce que l’une cède à l’autre le champ de bataille[3]. Autrefois on a vu de ces espèces de duels se passer entre une caille et un homme : la caille étant mise dans

  1. Olina, Uccellaria, p. 58.
  2. Artémidore, lib. iii, cap. v.
  3. Voyez Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 161.