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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/589

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justifiée, c’est parce qu’il est aussi rare de voir ces oiseaux s’accoupler réellement qu’il est commun de les voir se caresser ; en effet, ils ne se joignent presque jamais de jour, ni dans un lieu découvert, mais au contraire dans les endroits les plus retirés et les plus sauvages[1], comme s’ils avaient l’instinct de se mettre en sûreté dans le secret de la nature, pendant la durée d’une action qui, se rapportant tout entière à la conservation de l’espèce, semble suspendre dans l’individu le soin actuel de sa propre existence. Nous avons déjà vu le jean-le-blanc se cacher pour boire, parce qu’en buvant il enfonce son bec dans l’eau jusqu’aux yeux, et par conséquent ne peut être alors sur ses gardes[2]. Dans tous ces cas, les animaux sauvages se cachent par une sorte de prévoyance qui, ayant pour but immédiat le soin de leur propre conservation, paraît plus près de l’instinct des bêtes que tous les motifs de décence dont on a voulu leur faire honneur : et ici le corbeau a d’autant plus besoin de cette prévoyance qu’ayant moins d’ardeur et de force pour l’acte de la génération[3], son accouplement doit probablement avoir une certaine durée.

La femelle se distingue du mâle, selon Barrère, en ce qu’elle est d’un noir moins décidé et qu’elle a le bec plus faible ; et, en effet, j’ai bien observé dans certains individus des becs plus forts et plus convexes que dans d’autres, et différentes teintes de noir et même de brun dans le plumage ; mais ceux qui avaient le bec le plus fort étaient d’un noir moins décidé, soit que cette couleur fût naturelle, soit qu’elle fût altérée par le temps et par les précautions qu’on a coutume de prendre pour la conservation des oiseaux desséchés. Cette femelle pond, aux environs du mois de mars[4], jusqu’à cinq ou six œufs[5] d’un vert pâle et bleuâtre, marquetés d’un grand nombre de taches et de traits de couleur obscure[6]. Elle les couve pendant environ vingt jours[7], et pendant ce temps le mâle a soin de pourvoir à sa nourriture ; il y pourvoit même largement, car les gens de la campagne trouvent quelquefois dans les nids des corbeaux, ou aux environs, des amas assez considérables de grains, de noix et d’autres fruits. Il est vrai qu’on a soupçonné que ce n’était pas seulement pour la subsistance de la couveuse au temps de l’incubation, mais pour celle de tous deux pendant l’hiver[8]. Quoi qu’il en soit de leur intention, il est certain que cette

  1. Albert dit qu’il a été témoin une seule fois de l’accouplement des corbeaux, et qu’il se passe comme dans les autres espèces d’oiseaux. Voyez Gesner, De Avibus, p. 337.
  2. Voyez ci-devant l’histoire de cet oiseau, p. 74.
  3. « Corvinum genus libidinosum non est ; quippe quôd parum fœcundum sit, coire tamen id quoque visum est. » Aristote, De Generatione, lib. iii, cap. vi.
  4. Willughby dit que quelquefois les corbeaux pondent encore plus tôt en Angleterre, Ornithologie, p. 83.
  5. Aristote, Hist. animal., lib. ix, cap. xxxi.
  6. Willughby, à l’endroit cité.
  7. Aristote, Hist. animal., lib. vi, cap. vi.
  8. Aldrovande, Ornithologia, t. Ier, p. 691 et 699.