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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/590

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habitude de faire ainsi des provisions et de cacher ce qu’ils peuvent attraper ne se borne pas aux comestibles, ni même aux choses qui peuvent leur être utiles, elle s’étend encore à tout ce qui se trouve à leur bienséance, et il paraît qu’ils préfèrent les pièces de métal et tout ce qui brille aux yeux[1]. On en a vu un à Erford qui eut bien la patience de porter une à une et de cacher sous une pierre dans un jardin une quantité de petites monnaies, jusqu’à concurrence de cinq ou six florins[2] ; et il n’y a guère de pays qui n’ait son histoire de pareils vols domestiques.

Quand les petits viennent d’éclore, il s’en faut bien qu’ils soient de la couleur des père et mère ; ils sont plutôt blancs que noirs, au contraire des jeunes cygnes qui doivent être un jour d’un si beau blanc, et qui commencent par être bruns[3]. Dans les premiers jours, la mère semble un peu négliger ses petits ; elle ne leur donne à manger que lorsqu’ils commencent à avoir des plumes, et l’on n’a pas manqué de dire qu’elle ne commençait que de ce moment à les reconnaître à leur plumage naissant, et à les traiter véritablement comme siens[4]. Pour moi, je ne vois dans cette diète des premiers jours que ce que l’on voit plus ou moins dans presque tous les autres animaux, et dans l’homme lui-même ; tous ont besoin d’un peu de temps pour s’accoutumer à un nouvel élément, à une nouvelle existence. Pendant ce temps de diète le petit oiseau n’est pas dépourvu de toute nourriture : il en trouve une au dedans de lui-même et qui lui est très analogue ; c’est le restant du jaune que renferme l’abdomen, et qui passe insensiblement dans les intestins par un conduit particulier[5]. La mère, après ces premiers temps, nourrit ses petits avec des aliments convenables, qui ont déjà subi une préparation dans son jabot, et qu’elle leur dégorge dans le bec, à peu près comme font les pigeons[6].

Le mâle ne se contente pas de pourvoir à la subsistance de la famille, il veille aussi pour sa défense ; et s’il s’aperçoit qu’un milan ou tel autre oiseau de proie s’approche du nid, le péril de ce qu’il aime le rend courageux, il prend son essor, gagne le dessus, et, se rabattant sur l’ennemi, il le frappe violemment de son bec : si l’oiseau de proie fait des efforts pour reprendre le dessus, le corbeau en fait de nouveaux pour conserver son avantage, et ils s’élèvent quelquefois si haut qu’on les perd absolument de vue jusqu’à ce que, excédés de fatigue, l’un ou l’autre, ou tous les deux, se laissent tomber du haut des airs[7].

Aristote et beaucoup d’autres, d’après lui, prétendent que lorsque les

  1. Frisch, planche 63.
  2. Voyez Gesner, De Avibus, p. 338.
  3. Aldrovande, Ornithol., t. Ier, p. 702.
  4. Idem, ibidem.
  5. Willughby, Ornithol., p. 82.
  6. Willughby, Ornithol., p. 82.
  7. Frisch, planche 63.