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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/607

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Tant de rapports et de traits de ressemblance avec la corbine et avec le freux me feraient soupçonner que la corneille mantelée serait une race métisse produite par le mélange de ces deux espèces ; et, en effet, si elle était une simple variété de la corbine, d’où lui viendrait l’habitude de voler par troupes nombreuses et de changer de demeure deux fois l’année ? ce que ne fit jamais la corbine[1], comme nous l’avons vu ; et si elle était une simple variété du freux, d’où lui viendraient tant d’autres rapports qu’elle a avec la corbine ? au lieu que cette double ressemblance s’explique naturellement en supposant que la corneille mantelée est le produit du mélange de ces deux espèces, qu’elle représente par sa nature mixte et qui tient de l’une et de l’autre. Cette opinion pourrait paraître vraisemblable aux philosophes qui savent combien les analogies physiques sont d’un grand usage pour remonter à l’origine des êtres et renouer le fil des générations ; mais on lui trouvera un nouveau degré de probabilité, si l’on considère que la corneille mantelée est une race nouvelle, qui ne fut ni connue ni nommée par les anciens, et qui par conséquent n’existait pas encore de leur temps, puisque lorsqu’il s’agit d’une race aussi multipliée et aussi familière que celle-ci, il n’y a point de milieu entre n’être pas connue dans un pays et n’y être point du tout. Or, si elle est nouvelle, il faut qu’elle ait été produite par le mélange de deux autres races ; et quelles peuvent être ces deux races, sinon celles qui paraissent avoir plus de rapport, d’analogie, de ressemblance avec elle ?

Frisch dit que la corneille mantelée a deux cris, l’un plus grave et que tout le monde connaît, l’autre plus aigu et qui a quelque rapport avec celui du coq. Il ajoute qu’elle est fort attachée à sa couvée, et que, lorsqu’on coupe par le pied l’arbre où elle a fait son nid, elle se laisse tomber avec l’arbre et s’expose à tout plutôt que d’abandonner sa géniture.

M. Linnæus semble lui appliquer ce que la Zoologie britannique dit du freux qu’elle est utile par la consommation qu’elle fait des insectes destructeurs, dont elle purge ainsi les pâturages[2] ; mais, encore une fois, ne doit-on pas craindre qu’elle consomme elle-même plus de grains que n’auraient fait les insectes dont elle se nourrit ? et n’est-ce pas pour cette raison qu’en plusieurs pays d’Allemagne on a mis sa tête à prix[3] ?

On la prend dans les mêmes pièges que les autres corneilles ; elle se

    Bourgogne. Une volée de ces oiseaux réside constamment depuis deux ou trois années à Baune-la-Roche, dans certains trous de rochers où des corneilles frayonnes étaient ci-devant en possession de nicher tous les ans depuis plus d’un siècle ; ces frayonnes ayant été une année sans revenir, une volée de quinze ou vingt mantelées s’empara aussitôt de leurs gîtes ; elles y ont déjà fait deux couvées, et elles sont actuellement occupées à la troisième (ce 26 mai 1773). C’est encore un trait d’analogie entre les deux espèces.

  1. « Corvus et cornix semper conspicui sunt, nec loca mutant aut latent.} » Aristot., Histor. animalium, lib. ix, cap. xxiii.
  2. « Purgat pascua et prata a vermibus… apud nos relegata, at inaudita et indefensa… » Voyez Systema naturæ, édit. X, p. 106. — Fauna Suecica, no 71.
  3. Frisch, planche 65.