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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/640

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sur les montagnes couvertes de forêts de sapins : on les retrouve jusqu’en Suède, mais seulement dans la partie méridionale de ce pays, et rarement au delà[1]. Le peuple d’Allemagne leur a donné les noms d’oiseaux de Turquie, d’Italie, d’Afrique ; et l’on sait que dans le langage du peuple ces noms signifient, non pas un oiseau venant réellement de ces contrées, mais un oiseau étranger dont on ignore le pays[2].

Quoique les casse-noix ne soient point oiseaux de passage, ils quittent quelquefois leurs montagnes pour se répandre dans les plaines : Frisch dit qu’on les voit de temps en temps arriver en troupe, avec d’autres oiseaux, en différents cantons de l’Allemagne, et toujours par préférence dans ceux où ils trouvent des sapins. Cependant, en 1754, il en passa de grandes volées en France, et notamment en Bourgogne, où il y a peu de sapins[3] : ils étaient si fatigués en arrivant qu’ils se laissaient prendre à la main. On en tua un la même année au mois d’octobre, près de Mostyn, en Flintshire[4], qu’on supposa venir d’Allemagne. Il faut remarquer que cette année avait été fort sèche et fort chaude, ce qui avait dû tarir la plupart des fontaines, et faire tort aux fruits dont les casse-noix font leur nourriture ordinaire ; et d’ailleurs, comme en arrivant ils paraissaient affamés, donnant en foule dans tous les pièges, se laissant prendre à tous les appâts, il est vraisemblable qu’ils avaient été contraints d’abandonner leurs retraites par le manque de subsistance.

Une des raisons qui les empêchent de rester et de se perpétuer dans les bons pays, c’est, dit-on, que, comme ils causent un grand préjudice aux forêts en perçant les gros arbres à la manière des pics, les propriétaires leur font une guerre continuelle[5], de manière qu’une partie est bientôt détruite, et que l’autre est obligée de se réfugier dans des forêts escarpées où il n’y a point de garde-bois.

Cette habitude de percer les arbres n’est pas le seul trait de ressemblance

  1. « Habitat in Smolandia, rarior alibi. » Fauna suecica, p. 26, no 75. — Gerini remarque qu’on n’en voit point en Toscane. Storia degli Uccelli, t. II, p. 45.
  2. Frisch, planche 56.
  3. Un habile ornithologiste de la ville de Sarrebourg (M. le docteur Lottinger}, qui connaît très bien les oiseaux de la Lorraine, et à qui je dois plusieurs faits concernant leurs mœurs, leurs habitudes et leurs passages : je me ferai un devoir de le citer pour toutes les observations qui lui seront propres ; et ce que je dis ici pourra suppléer aux citations omises) m’apprend qu’en cette même année, 1754, il passa en Lorraine des volées de casse-noix si nombreuses, que les bois et les campagnes en étaient remplis ; leur séjour dura tout le mois d’octobre, et la faim les avait tellement affaiblis qu’ils se laissaient approcher et tuer à coups de bâton. Le même observateur ajoute que ces oiseaux ont reparu en 1763, mais en beaucoup plus petit nombre, que leur passage se fait toujours en automne, et qu’ils mettent ordinairement entre chaque passage un intervalle de six à neuf années : ce qui doit se restreindre à la Lorraine, car en France, et particulièrement en Bourgogne, les passages des casse-noix sont beaucoup plus éloignés.
  4. British Zoology, p. 78.
  5. Salerne, Histoire des oiseaux, p. 99.