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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/672

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ils ont pris chacun leur forme décidée, leurs traits caractéristiques, on reconnaît que l’étourneau diffère du merle par les mouchetures et les reflets de son plumage, par la conformation de son bec plus obtus, plus plat et sans échancrure vers la pointe[1], par celle de sa tête aussi plus aplatie, etc. Mais une autre différence fort remarquable, et qui tient à une cause plus profonde, c’est que l’espèce de l’étourneau est une espèce isolée dans notre Europe, au lieu que les espèces des merles y paraissent fort multipliées.

Les uns et les autres se ressemblent encore, en ce qu’ils ne changent point de domicile pendant l’hiver : seulement ils choisissent, dans le canton où ils sont établis, les endroits les mieux exposés[2] et qui sont le plus à portée des fontaines chaudes ; mais avec cette différence que les merles vivent alors solitairement, ou plutôt qu’ils continuent de vivre seuls ou presque seuls, comme ils font le resté de l’année ; au lieu que les étourneaux n’ont pas plus tôt fini leur couvée qu’ils se rassemblent en troupes très nombreuses. Ces troupes ont une manière de voler qui leur est propre, et semble soumise à une tactique uniforme et régulière, telle que serait celle d’une troupe disciplinée obéissant avec précision à la voix d’un seul chef : c’est à la voix de l’instinct que les étourneaux obéissent, et leur instinct les porte à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol les emporte sans cesse au delà, en sorte que cette multitude d’oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune vers le même point, allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en tous sens, forme une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse entière, sans suivre de direction bien certaine, paraît avoir un mouvement général de révolution sur elle-même, résultant des mouvements particuliers de circulation propres à chacune de ses parties, et dans lequel le centre tendant perpétuellement à se développer, mais sans cesse pressé, repoussé par l’effort contraire des lignes environnantes qui pèsent sur lui, est constamment plus serré qu’aucune de ces lignes, lesquelles le sont elles-mêmes d’autant plus qu’elles sont plus voisines du centre.

Cette manière de voler a ses avantages et ses inconvénients : elle a ses avantages contre les entreprises de l’oiseau de proie, qui se trouvant embarrassé par le nombre de ces faibles adversaires, inquiété par leurs battements d’ailes, étourdi par leurs cris, déconcerté par leur ordre de bataille, enfin ne se jugeant pas assez fort pour enfoncer des lignes si serrées, que la peur concentre encore de plus en plus, se voit contraint fort souvent d’abandonner une si riche proie sans avoir pu s’en approprier la moindre partie.

Mais, d’autre côté, un inconvénient de cette façon de voler des étourneaux,

  1. M. Barrère dit que l’étourneau a le bec quadrangulaire, Ornithologiæ specimen novum, p. 39. Il conviendra au moins que les angles en sont fort arrondis.
  2. C’est apparemment ce qui a fait dire à Aristote que l’étourneau se tient caché pendant l’hiver.