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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/90

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mais ils ne se sont pas aperçus qu’il eût la vue faible, ni qu’il vît mal pendant le jour ; au contraire, il vise d’assez loin le poisson sur lequel il veut fondre ; il poursuit vivement les oiseaux dont il veut faire sa proie, et, quoiqu’il vole moins vite que les aigles, c’est plutôt parce qu’il a les ailes plus courtes que les yeux plus faibles. Cependant, le respect qu’on doit à l’autorité du grand philosophe que je viens de citer a engagé le célèbre Aldrovande à examiner scrupuleusement les yeux de l’orfraie, et il a reconnu que l’ouverture de la pupille[1], qui d’ordinaire n’est recouverte que par la cornée, l’était encore dans cet oiseau par une membrane extrêmement mince et qui forme en effet l’apparence d’une petite taie sur le milieu de l’ouverture de la pupille[NdÉ 1] ; il a de plus observé que l’inconvénient de cette conformation paraît être compensé par la transparence parfaite de la partie circulaire qui environne la pupille, laquelle partie dans les autres oiseaux est opaque et de couleur obscure. Ainsi l’observation d’Aristote est bonne, en ce qu’il a très bien remarqué que l’orfraie avait les yeux couverts d’un petit nuage ; mais il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle voie beaucoup moins que les autres, puisque la lumière peut passer aisément et abondamment par le petit cercle, parfaitement transparent, qui environne la pupille. Il doit seulement résulter de cette conformation que cet oiseau porte sur le milieu de tous les objets qu’il regarde une tache ou un petit nuage obscur, et qu’il voit mieux de côté que de face : cependant, comme je viens de le dire, on ne s’aperçoit pas par le résultat de ses actions qu’il voie plus mal que les autres oiseaux ; il est vrai qu’il ne s’élève pas à beaucoup près à la hauteur de l’aigle, qu’il n’a pas non plus le vol aussi rapide ; qu’il ne vise ni ne poursuit sa proie d’aussi loin : ainsi il est probable qu’il n’a pas la vue aussi nette ni aussi perçante que les aigles, mais il est sûr en même temps qu’il ne l’a pas, comme les chouettes, offusquée pendant le jour, puisqu’il cherche et ravit sa proie aussi bien le jour que la nuit[2], et principalement le matin et le soir ; d’ailleurs, en comparant cette conformation de l’œil de l’orfraie avec celle des yeux de la chouette ou des autres

  1. « Sed in oculo dignum observatione est quod uvea, quæ homini in pupillâ perforatur, tenuissimam quandam membranulam pupillæ prætensam habeat : atqui hoc est quod philosophus dicere voluit,… subtilissimam illam membranam, nubeculam vocans. Istæc tamen ne prorsus visionem præpediret, quod retro et ab lateribus nigro, ut homini, colore imbuta et substantia paulo crassior sit ; itaque partem, quæ iridis ambitu clauditur, subtilissimam omnisque coloris expertem et exacte pellucidam naturâ fabricata est : hoc ipsum visûs detrimentum non nihil resarcire potest superciliorum aut supernæ orbitæ oculorum partis prominentia quæ seu tectum oculos supernè operit. » Aldrov, Avi., t. I, p. 226.
  2. J’ai été informé, par des témoins oculaires, que l’orfraie prend du poisson pendant la nuit, et qu’alors on entend de fort loin le bruit qu’elle fait en s’abaissant sur les eaux. M. Salerne dit aussi que, quand l’orfraie s’abat sur un étang pour saisir sa proie, elle fait un bruit qui paraît terrible, surtout la nuit. Ornithol., p. 6.
  1. C’est la membrane clignotante, qui existe, plus ou moins développée, chez tous les oiseaux.