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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/92

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non seulement que les balbuzards (haliæti) n’ont point d’espèce, et qu’ils proviennent des mélanges des aigles de différentes espèces, mais encore que ce qui naît des balbuzards ne sont point de petits balbuzards, mais des orfraies, desquels orfraies naissent, dit-il, des petits vautours, lesquels, ajoute-t-il encore, produisent de grands vautours qui n’ont plus la faculté d’engendrer[1]. Que de faits incroyables sont compris dans ce passage ! que de choses absurdes et contre toute analogie ! car en étendant autant qu’il est permis ou possible les limites des variations de la nature, et en donnant à ce passage l’explication la moins défavorable, supposons pour un instant que les balbuzards ne soient en effet que des métis provenant de l’union de deux différentes espèces d’aigles, ils seront féconds comme le sont les métis de quelques autres oiseaux, et produiront entre eux de seconds métis qui pourront remonter à l’espèce de l’orfraie, si le premier mélange a été de l’orfraie avec un autre aigle : jusque-là les lois de la nature ne se trouvent pas entièrement violées ; mais dire ensuite que de ces balbuzards, devenus orfraies, il provient de petits vautours qui en produisent de grands, lesquels ne peuvent plus rien produire, c’est ajouter trois faits absolument incroyables à deux qui sont déjà difficiles à croire ; et quoiqu’il y ait dans Pline bien des choses écrites légèrement, je ne puis me persuader qu’il soit l’auteur de ces trois assertions, et j’aime mieux croire que la fin de ce passage a été entièrement altérée. Quoi qu’il en soit, il est très certain que les orfraies n’ont jamais produit de petits vautours, ni ces petits vautours bâtards d’autres grands vautours mulets qui ne produisent plus rien. Chaque espèce, chaque race de vautour engendre son semblable ; il en est de même de chaque espèce d’aigle, et encore de même du balbuzard et de l’orfraie ; et les espèces intermédiaires qui peuvent avoir été produites par le mélange des aigles entre eux ont formé des races constantes qui se soutiennent et se perpétuent, comme les autres, par la génération. Nous sommes particulièrement très assurés que le mâle balbuzard produit avec sa femelle des petits semblables à lui, et que si les balbuzards produisent des orfraies, ce ne peut être par eux-mêmes, mais par leur mélange avec l’orfraie ; il en serait de l’union du balbuzard mâle avec l’orfraie femelle, comme de celle du bouc avec la brebis : il en résulte un agneau, parce que la brebis domine dans la génération, et il résulterait de l’autre mélange une orfraie, parce qu’en général ce sont les femelles qui dominent, et que d’ordinaire les métis ou mulets féconds remontent à l’espèce de la mère, et que même les vrais mulets, c’est-à-dire les métis inféconds, représentent plus l’espèce de la femelle que celle du mâle.

Ce qui rend croyable cette possibilité du mélange et du produit du bal-

  1. « Haliæti suum genus non habent, sed ex diverso aquilarum coïtu nascuntur : id quidem, quod ex iis natum est, in ossifragis genus habet, e quibus vultures progenerantur minores, et ex iis magni, qui omnino non generant. » Plin., Hist. nat., lib. x, cap. iii.