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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/173

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CHRONIQUES

maines, pas de jour peut-être qu’il ne reçût sa proie : c’était une telle affaire d’habitude qu’on n’y faisait guère attention, si bien que l’exécuteur pouvait dire à un prêtre condamné qu’il menait pendre et qui s’accrochait en désespéré à l’échelle du gibet : « Allons donc, M. l’abbé, vous faites l’enfant ! »

Dans ce temps-là, l’exécuteur était poudré, frisé, en bas de soie, et faisait son affreuse besogne aux applaudissements de la multitude. La profession de bourreau, car c’en était une, était presque honorée, sinon honorable ; on se la transmettait de père en fils, absolument comme chez les Égyptiens toutes les carrières sont héréditaires. M. de Paris, tel était son nom. C’était un grand niveleur ; il avait surtout alors pour fonction de couper les têtes qui étaient trop hautes. Plus tard, le prestige du métier s’est amoindri et l’exécuteur n’a plus eu qu’à trancher les têtes souillées de crimes. C’est devenu prosaique, et maintenant c’est un véritable pis-aller. On ne se fait plus bourreau que lorsqu’on ne peut pas être journaliste ou chroniqueur. Et encore ! je ne connais pas, pour moi, de pires bourreaux que les traducteurs de dépêches et les faiseurs de faits divers. La causerie elle-même est une véritable exécution capitale ; seulement, elle est mitigée par la grâce exquise avec laquelle on exécute le lecteur, qui est toujours, au demeurant, un grand coupable.

Ô profondeurs humaines ! On croirait que l’égalité