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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/197

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CHRONIQUES

m’nasse, y en a grossement, » reprit la douce pâquerette, et elle alla me chercher une espèce de cruche d’encre, d’où je fis couler le hideux liquide qui devait remplacer la sève de l’arbre national.

Dix minutes après, j’avais des crampes dans l’estomac et je demandais désespérément un lit. Je dois le dire ; à ma grande surprise, on me donna un lit avec les accessoires indispensables, entr’autres un pot d’eau grand comme le creux de la main, que je dus faire remplir huit fois le lendemain matin ; les autres articles analogues étaient éclatants d’absence et il y avait une double croisée !  !… inouvrable. Une autre particularité de ce refuge des voyageurs, c’est qu’aucune allumette ne voulait prendre feu ; je fus réduit à me coucher au hasard, après avoir disputé pendant une heure le droit de me faire une place à une légion de ces petites bêtes vulgaires, plates, piquantes et nauséabondes, qu’on appelle communément des punaises.

Le lendemain matin, après six heures d’un sommeil agité, mes poumons avaient perdu beaucoup de leur capacité respiratoire et je voulus fuir dans un endroit moins meurtrier, au village qui est à quatre milles de là, sur des hauteurs qui semblent être le refuge des aigles et le séjour du tonnerre. Pas une voiture ; je voulus manger, pas un morceau de lard, pas une bouchée de viande, pas un œuf, pas un poisson, et cela à deux pas du fleuve ; je fus contraint de prendre la route du village à pied, laissant derrière moi mes malles, et de monter à jeun trois milles de côtes.

Voilà ce qu’on appelle l’hôtel des Éboulements.