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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/236

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CHRONIQUES

sombrer et bloquer l’impasse sous ses ruines, qu’on s’est décidé à lui appliquer des étais ; mais les étais, eux-mêmes chancelants, ne rassuraient pas les citadins nerveux. Alors, on a commencé à démolir le toit ; c’était un suprême effort, aussi s’y est-on arrêté. Maintenant, la maison béante entr’ouvre au ciel ses profondeurs meurtries, et l’orage s’y engouffre avec des gémissements accusateurs…

Le croiriez-vous ? Notre cher Événement, notre Événement bien-aimé, menace aussi de joncher le sol. On lui a mis des étais, à lui, ornement et perle de la presse canadienne ; c’est du fond d’une mansarde ouverte à tous les vents, tremblant au moindre bruit, que partent tous les jours ces fins articles qui font les délices de tous les esprits cultivés. Là, dans un taudis poussiéreux, chevrotant, s’abandonne le plus spirituel et le plus éloquent des rédacteurs. À chaque coup de presse, tout l’édifice gémit, et le visiteur affolé s’élance à la fenêtre. Cependant, Fabre rédige toujours avec une catastrophe sur la tête ; évidemment la Providence a des vues sur lui et les dieux protègent le parti national.

En face de l’Événement, le Canadien contemple, avec une satisfaction perfide et un orgueil barbare, cette ruine qui l’éblouit et qui persiste dans sa gueuserie éclatante. Nonchalamment assis à sa croisée, dans un fauteuil archi-ministériel, le propriétaire du Canadien [1] étudie tous les jours chaque lézarde qui s’allonge sur son confrère et cherche à voir quel pan de mur croulera le premier.

  1. L’excellent, le satisfait et volumineux L. H. Huot.