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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/253

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CHRONIQUES

d’une hardiesse violente ; on dirait que sa longue lutte avec l’océan lui a révélé sa force et le pouvoir qu’il tient de Dieu de ne pas laisser les flots dépasser leurs bornes. C’est un archer du moyen-âge, bardé de fer, immobile dans son armure, et qui reçoit, invulnérable, tous les coups de l’ennemi.

Percé, en face de l’Atlantique qui le bat de ses tempêtes depuis des milliers de siècles, frémissant sous l’averse éternelle des flots, mais immuable comme un décret du ciel, morne, pensif, subissant sans murmure les torrents pleins de colères qui l’inondent, penché comme un dieu déchu qui expie dans l’éternité l’orgueil d’un jour, nous remplit comme d’une admiration douloureuse et d’une pitié grande et profonde.

En face du promontoire est ce rocher célèbre, long d’un demi-mille, couvert d’un plateau uni comme une mer calme, fendu verticalement en deux à l’une de ses extrémités, et, à quelques cents pieds plus loin, s’ouvrant dans les flots de manière à former une arche, rocher à pic, roide, droit comme un poids qui tombe, qui a donné son nom à l’espace tout entier de terre qui termine la baie de Gaspé et fait saillie dans le Golfe. Près de là est l’île Bonaventure, longue de quelques milles, où se trouve un des établissements de la maison Le Bouthillier ; et, en face, de l’autre côté de la baie, à trois lieues de distance, un autre rocher analogue, nommé La Vieille, qui a été miné par l’action des flots et qui s’est écroulé en partie, laissant une échancrure béante, noire, où tous les génies malfaisants de l’abîme doivent venir faire leur sabbat durant les tempêtes.

Le plateau du roc de Percé est la demeure des goëlands, des mouettes, des cormorans, des pétrels et des