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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/259

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CHRONIQUES

Dans une pareille contrée, les mœurs sont nécessairement quelque peu dures. Chacun, renfermé dans une individualité semi-barbare, a peu de notions de la réciprocité sociale, des égards mutuels. On sent que les hommes y ont l’habitude de vivre séparés ; aussi sont-ils défiants les uns des autres. La loi, quand il y a lieu, reçoit son application la plus rigoureuse ; pas de tempéraments, pas d’adoucissements.

Dans une civilisation qui a pris son développement complet, tous les membres de la société sentent qu’ils se doivent mutuellement protection ; on observe moins la lettre que l’esprit de la loi, on l’élude même par mille fictions qui, en somme, ne font que démontrer combien chacun se repose plus sur les mœurs générales que sur les ordonnances, combien on s’en rapporte plus à l’intérêt de tous, dans l’ordre de choses établi, qu’à la contrainte imposée par des textes inflexibles. Mais ici, l’on dirait que la loi, loin d’être faite pour les hommes, est faite contre eux, et qu’il n’existe pas d’autre sauvegarde mutuelle que dans une application draconienne de ses obligations.

Le lecteur saisira mieux du reste le sens et l’étendue de ces considérations par des exemples.

Nous étions arrivés à Paspébiac jeudi, le 10 octobre, à trois heures de l’après-midi. Il faisait un temps à égayer des croquemorts et à faire chanter des corbeaux ; le ciel était resplendissant, la mer légèrement ondulée par la brise. Dans le port, la Canadienne, tirant des bordées, voletait comme un oiseau-mouche sur des flocons de lilas ; quelques navires blanchis-