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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/260

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CHRONIQUES

saient à l’horizon ; d’autres, mouillés, attendaient leur cargaison de bois ou de morue sèche pour les Antilles, tandis qu’une centaine de bateaux-pêcheurs se balançaient sur les flots dans toutes les directions.

Nous fûmes accostés par deux énormes barges qui vinrent prendre le fret et les passagers. L’opération dura une heure et demie, pendant laquelle nous pûmes examiner à loisir la physionomie de l’endroit éloigné de nous d’à peu près un demi-mille. À part le site qui est charmant, je dirais presque suave, tant il y a de douceur agreste dans les longues collines qui viennent se baigner à la mer, ce qu’il faut remarquer avant tout à Paspébiac, c’est l’immense établissement de la maison Robin qui constitue à lui seul une petite cité.

La maison Robin emploie environ six cents hommes à la seule préparation de la morue ; ces six cents hommes demeurent tous dans l’enceinte de l’établissement qui est divisé par rues et par quartiers, et qui contient des boutiques de menuisier, de charpentier, de tonnelier, de forgeron, de mécanicien… tout ce qui est nécessaire à une exploitation considérable. Il y a là jusqu’à des petits docks et des chantiers pour la construction des navires ; l’entrepôt général s’élève sur pilotis dans la mer même, et en arrière s’échelonnent les diverses rues qui fractionnent l’établissement.

Une particularité de la maison Robin, c’est qu’aucun de ses commis n’a le droit de se marier ; s’il en est qui ont ce malheur, il faut que leurs femmes vivent au loin et qu’ils n’aillent les voir qu’une fois tous les deux ans. Il y a loin de là au mormonisme.

Un jeune homme qui entre comme commis dans la maison Robin doit faire six années d’apprentissage à