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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/297

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réussi ; mais cet étonnement, fort légitime du reste, ne s’est pas encore manifesté par des colonnes ni par des statues ; j’attendrai quelques dizaines d’années après ma mort pour jouir de ce spectacle.

Ne pouvant prétendre à aucune renommée littéraire dans un pays où disparaît de jour en jour la langue de la France, je m’exilais, sans espoir de retour, à la recherche d’un nom dans la ville du monde où il est le plus difficile à conquérir. Un fantôme allait devant moi et me sollicitait à le suivre ; je le suivis, ne pouvant résister, faiblesse particulière aux grands hommes que, seule, la réalité ne peut émouvoir. Mille bruits bourdonnaient à mes oreilles quand je songeais aux applaudissements qui m’attendaient ; je me voyais déjà l’auréole de la gloire au front, j’avais franchi d’un pas impérieux les portes de son temple, ne sachant pas que ce temple ne reçoit que des victimes couronnées. Insatiable de sacrifices, la gloire ne donne en échange qu’un vain nom qui n’est même bientôt plus à nous, puisqu’il devient la proie de tout le monde, dès qu’il est célèbre.

Je tombai donc dans cet immense Paris, et dès le premier jour j’eus peur. Il n’est pas de solitude plus déserte qu’une grande ville où l’on ne connaît personne. Je connaissais bien, il est vrai, le commissaire de l’exposition canadienne ; mais, je l’ai déjà dit, il était invisible ; généralement il se faisait remplacer par un Abénaquis, ce qui eût été pour moi une petite protection.

J’errai, et bientôt je sentis le vide, l’angoisse, le vague saisissement de l’inconnu. J’étais venu plein d’illusions et rien ne me frappait. Je marchai sans but,