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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/304

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véritables vestibules. Cette maison est unique dans Bathurst où il n’y a pas seulement un hôtel tolérable pour les voyageurs habitués au confort. Comment j’avais fait pour m’y introduire, moi, inconnu, étranger, c’est mon secret. On a des ressources ou on n’en a pas.

M. Sutherland, le propriétaire, était, il y a deux ans à peine, le premier négociant de la ville ; il faisait des affaires pour $180,000 par année ; mais la chute subite de deux grandes maisons de Boston l’avait forcé à se mettre sous la loi de banqueroute. Néanmoins il avait payé intégralement, et, pour ne pas être troublé dans son intérieur, il avait fait à son meilleur ami, moyennant $1600 dollars, une vente nominale de sa maison qui en valait huit mille. Ce meilleur ami était le chef de la douane, Franc-MehanFrank Mehan, un homme qui deviendra célèbre s’il se décide à aller dans les Calabres.

Or, le 17 octobre dernier, j’étais tout bonnement enfoui, chez M. Sutherland, dans un fauteuil à ressorts, proportionné à l’ampleur de l’habitation, et je dégustais ma tasse de moka doré en fumant un des cigares princiers de M. Bertrand qui me comblait de largesses, comme font tous mes amis lorsque je les y invite spécialement, ce qu’ils qualifient du mot technique d’exploitation.

M. Bertrand, qui partageait avec moi une partie de la demeure de Sutherland, avait pris plaisir à étaler en outre, à côté de la boîte aux cigares, toute une légion de carafes contenant du rhum de Ste-Croix, du pur whisky écossais, un « Sherry » qui donnait des pamoisons, du genièvre de Hollande authentique, du Allsopp et du Bass de dix ans et du Sauterne de Barton