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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/332

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plus on se révoltera, plus on se tuera ; plus il y aura de femmes méchantes, égoïstes, cruelles, plus il y aura de cervelles sautées en leur honneur.

Hélas ! rien n’est plus puéril que l’amour, et cependant rien n’agit si fortement sur l’esprit humain. Qu’y a-t-il de plus déplorable en effet que de voir un homme faire d’une créature l’objet de toutes ses pensées, de toutes ses affections, de toutes ses actions, de voir que l’humanité entière est jetée dans l’oubli pour l’amour d’une femme qui souvent n’est qu’un monstre de duplicité, d’égoïsme et de vanité féroce qu’aucune immolation ne peut assouvir. On se tue pour cette femme qui, probablement, ne viendra pas verser une seule larme sur la tombe qu’elle aura creusée et qui n’aura pas même la peine de se consoler de vous avoir perdu.

Comment la femme peut-elle prendre sur le cœur de l’homme un empire aussi funeste, aussi inévitable, c’est là un de ces mystères douloureux, une de ces fatalités horribles que la chute du premier homme a attachées à notre espèce maudite.

« Qu’il est doux d’être aimé ! » dit-on de toutes parts. Oui, mais à la condition de l’être tout seul et de ne pas payer de retour. Que de maux naissent en effet du lien formé entre deux cœurs ! Est-il une seule douleur, est-il quelque amère déception, quelque désespoir que l’amour mutuel ne renferme en lui et ne fasse éclater à travers toutes les fibres de l’âme ? Est-il une illusion qu’il n’ait détruite, une vie qu’il n’ait brisée ?

Plus la passion est grande, plus elle est malheureuse, plus elle renferme de jalousies cuisantes, de craintes qu’un rien éveille, de supplices à chaque instant renouvelés, de tortures morales que le moindre soupçon ou