Aller au contenu

Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lennels qui marquent son passage sur la terre, la naissance et la mort, l’homme ne soit absolument pour rien.

Il reçoit inconscient le misérable cadeau de l’existence et il le perd de même, après des efforts inouïs pour conserver ce qui est vraiment un supplice et une expiation. Heureux ceux qui ne sont plus ! Ils sont certains du moins que c’est une affaire faite et qu’ils n’auront pas à recommencer, comme tant d’autres qui sont menacés de naître. Fût-on grand chef politique ou simple journaliste, on a le même sort et la même consolation, celle de ne faire qu’une fois ce détestable voyage où il n’y a de relais nulle part, pendant lequel on marche toujours, même en dormant, et dont on ne voit le terme que lorsque tout nous quitte à la fois.

Ce qui est étonnant, c’est que tout le monde voudrait retarder le terme de cette étape dans la vie éternelle. Ce qui étonne, c’est qu’un simple instinct de conservation, purement matériel, soit plus fort que tous les raisonnements et l’emporte sur l’évidence ; on veut vivre quand même, comme si ce n’était pas déjà assez d’être né quand même ; et, quand arrive la mort, on tremble. Hélas ! que serait-ce donc à la naissance si l’on savait trembler alors, et si l’on savait tout ce que nous coûtera cette vie qui cause autour du berceau tant de réjouissances ?…

Il fait bon de vivre jusqu’à vingt-cinq, et rarement jusqu’à trente ans. Passé ce terme, on a des rhumatismes, des dyspepsies, des maladies du foie, du cœur, des reins, des bronches, et alors ce n’est plus vivre, c’est se défendre avec un tronçon d’arme pour garder un souffle qui s’éteint quand la mort nous étrangle.