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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/42

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Mettez cent familles canadiennes dans Cacouna, et le village est bouleversé ; parties de plaisir, piques-niques, promenades sur l’eau, bains, bals, ce sera un divertissement, un train-train continuel. Il n’y aura pas autant de jolies résidences, de cottages bâtis avec luxe, pas autant de parterres bien alignés et proprets, pas autant de bosquets découpés avec art sur le coteau onduleux qui descend au fleuve, pas autant de petits jardins perdus dans les taillis muets, ni de maisonnettes de bains s’attristant dans leur abandon, mais vous sentirez une vie bruyante, la mêlée des plaisirs, des amusements sans cesse renouvelés, des hommes et des femmes qui se cherchent au lieu de se fuir dans un repos monotone ; vous entendrez une tempête de cancans, chose redoutable et charmante ; vous verrez les gens debout à huit heures, courant les bois et les champs, des jeunes filles et des jeunes gens infatigables, toujours prêts à recommencer la vie joyeuse de la veille, des amourettes, des fleurettes, des ariettes, des riens, des matrones indulgentes, des pères bons comme le pain béni, des réunions intimes de cent personnes, tout le monde se connaissant, jouissant, riant, sautant, embrassant la vie par tous les pores, cette vie de deux mois qui revient tous les ans. Au lieu de cela, vous avez dans Cacouna des gens qui ressemblent à la pluie ; ils ont des visages comme des nuages. Quand ils sourient, c’est signe de mauvais temps, et quand ils marchent, on se sent inquiet et l’on regarde l’horizon. Les Canadiens, eux, savent s’amuser ; hélas ! que sauraient-ils s’ils ignoraient cela ? Jouir vite et rapidement des quelques heures que le ciel nous mesure ; aimer et sentir, se répandre au dehors, fouetter l’aile souvent lente du