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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/453

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déré qui ne peut avoir qu’exceptionnellement de mauvais effets et ne mener que rarement à des abus passagers, on crée un grand mal pour en corriger un petit et l’on inflige un remède mortel, car rien n’est plus immoral qu’une loi que personne ne respecte, et rien ne corrompt plus une population que l’habitude de désobéir aux lois ou de les éluder.

Au mal de prendre un verre de boisson, puisque c’en est un, l’on ajoute celui de faire fi de la loi qui le défend ; il est donc facile de voir que, de quelque côté qu’on l’examine, une pareille prohibition, loin de répondre à son objet, lui est directement opposée et devient plus condamnable, plus immorale que le vice même qu’elle prétend faire disparaître.

En voulant décréter l’abstinence, on donne à l’intempérance une impulsion plus grande et on lui fournit des excuses, car le bien même, dès lors qu’il est imposé, devient odieux. On ne peut pas condamner à la sobriété, parce que c’est faire de la sobriété un châtiment, c’est la dépouiller de toute vertu, c’est la rendre indigne d’être recherchée pour elle-même, et, par conséquent, enlever tout mérite à ceux qui la pratiquent. Dès lors que l’abstinence devient la loi, l’intempérance n’est plus qu’une contravention ; le principe moral est détruit, et une hypocrisie plus ou moins habile ne tarde pas à se glisser dans les actes, comme il en est toutes les fois qu’on veut imposer la vertu ; la contrainte n’amène que le relâchement et le dévergondage, sous des dehors trompeurs qui cachent une cor-