Aller au contenu

Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruption plus profonde. Ce n’est pas avec des lois qu’on établit les mœurs, et les goûts et les habitudes seront toujours au-dessus de toutes les prescriptions ; il y a du reste, dans les mille moyens mis en œuvre pour éluder les lois prohibitives des boissons fortes, comme une protestation de la conscience gênée dans le choix libre de ses actions et comme une réclamation déguisée de ceux qui savent modérer leurs goûts, contre la tyrannie aveugle qui ne connaît pas de différences.

On n’a jamais raison d’entrer en lutte avec la nature, parce qu’un certain nombre d’hommes abusent de ses dons et tournent en maux ce qu’elle leur offre en bienfaits. Ce qui est un abus se corrige de soi-même ; dans tous les cas, les lois ne sont pas faites pour l’exception, et l’on ne peut priver le très-grand nombre d’un usage légitime afin de punir la minorité de ses excès.

Qu’ont produit au reste toutes ces lois aussi barbares que ridicules dans les pays où l’on en fait l’expérience ? Le contraire de ce qu’on attendait d’elles. Voyez dans le Maine, par exemple, la ville de Lewiston qui, la première, a arboré le drapeau de l’abstinence totale ; les plus récentes statistiques établissent que c’est laville la plus adonnée à l’ivrognerie de tout le continent américain. Voyez l’Angleterre ; dernièrement, sur la demande de plusieurs centaines de ministres de l’église établie, l’archevêque de Cantorbéry a demandé la formation d’une commission pour étudier les remèdes à porter aux progrès de l’intempérance qui, on le sait, fait d’épouvantables ravages dans toutes les classes de