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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/50

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pouillés, des crêtes nues jaillissent dans l’air ; et parfois, sans que rien ait préparé ce spectacle, car la nature a toujours des sourires imprévus, on voit une pente douce s’incliner et le chant des oiseaux égayé le murmure de la brise à travers le feuillage.

Impossible de nous tenir tous les trois dans la charrette qui a pour siège une petite planche de sapin ; le chemin est coupé çà et là par des arbres que les orages ont renversés ; ailleurs, il passe sur une lisière étroite, entre deux précipices. Willy, le guide, à chaque instant s’arrête pour déblayer le terrain. Willy, c’est l’enfant de la forêt, un enfant de sept pieds qui a grandi avec les chênes et les pins. Il paraît comme un géant parmi ces géants du sol ; rien n’entrave sa marche à travers les taillis habitués à se courber sous ses pas ; il est le maître de ces solitudes indomptées, et les grands arbres, abaissant sur lui leurs ombres muettes, le saluent en passant. Des nuées de brûlots assiègent son vaste cou découvert, il ne les sent même pas, il est haletant, un ruisseau de sueurs inonde son front ; on le croirait épuisé, et cependant il soulève encore, et d’une seule main, les énormes troncs qui embarrassent la route. Au bout de quatre heures, nous avions fait trois lieues, et je ne voyais pas encore de terme à notre marche. Willy soufflait à faire frissonner les feuilles, et je songeais avec effroi à l’heure où il pourrait avoir faim, car nous n’avions avec nous qu’un jambon et quelques œufs.

Enfin, à un petit détour du sentier, un enclos d’avoine et de patates s’offre soudain à nos yeux. Le vent souffle librement autour de nous ; un lac formé de deux baies apparaît au pied de collines touffues, et,