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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/64

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10 aout, 1871.

Avant-hier j’étais à la Rivière-du-Loup, hier dans le Saguenay ; j’ai passé la nuit à Cacouna, aujourd’hui je vous écris de Kamouraska. Quel voyageur ! Comme le fils de l’homme, je n’ai pas une pierre où reposer ma tête ; heureusement que j’ai perdu le sommeil.

Je l’ai vu enfin, je l’ai vu, ce fameux Saguenay dont on parle tant ! il n’y a rien de si beau et de si bête. Voir le Saguenay, et puis… vivre !

Quelle lugubre promenade ! Être pendant six heures entre deux chaînes de montagnes qui vous étouffent, qui vous regardent toujours avec la même figure, je ne vois là rien qui prête à l’enthousiasme. Aussi, quand on y est allé une fois, on n’y retourne plus ; le dégoût succède aux transports, comme dans l’amour. Quel ennui dans cette solitude étroite et sublime ! Sur vingt-deux lieues de parcours, pas un être animé. Mais c’est grand tout de même ; il y a toujours quelque chose de grand dans la nature laissée à elle seule, surtout quand cette nature est virile, vigoureuse et hardie dans sa nudité. Les montagnes qui bordent le Saguenay ont quelque chose d’implacable qui repousserait la main de l’homme comme une profanation : aussi sont-elles restées vierges, tout en portant le poids d’innombrables regards jetés sur elles tous les ans par les touristes avides de les voir une fois au moins.

On va au Saguenay de deux manières : par le Clyde, qui ne fait guère que le commerce local entre Chicoutimi et Québec, et par les bateaux de la compagnie Inland Navigation, au nombre de deux, l’Union et le Magnet ; ce sont ces derniers que les promeneurs