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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/67

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CHRONIQUES

dire « Baie de Tadoussac, tu ne me repinceras plus. »

J’arrivai à l’hôtel d’un trait, j’étais furieux ; il y avait foule dans le vestibule, et partout, dans les galeries, sur le balcon, des femmes ravissantes qui me riaient au nez. Ces femmes étaient des Américaines, je leur pardonne ; il ne faut rien faire pour empêcher l’annexion.[1]

L’hôtel de Tadoussac est un des plus beaux, des mieux construits, des plus frais et des plus agréables qu’il soit possible d’imaginer. Ce qui vaut mieux encore que l’hôtel, c’est son intendant, M. Fennall. Quel homme charmant, empressé, heureux de vous être agréable ! Il voulut me présenter immédiatement aux infâmes et charmantes créatures qui venaient de se moquer de moi. Je me laissai faire, (je suis faible), et, en moins de dix minutes, j’avais mis sur pied toutes ces belles Yankees qui gelaient depuis huit jours, et nous étions lancés dans des valses inouïes. Ce fut une révolution dans l’hôtel. Jusque-là les hôtes et hôtesses y avaient vécu calmes jusqu’à l’engourdissement.

Tadoussac a cela d’agréable qu’il est très ennuyeux. Il n’y a pas dans ce petit port isolé sur la rive nord du Saint-Laurent de divertissement possible que celui de la pêche, à huit ou dix milles de distance ; partout autour de lui une solitude sans issue, et il faut faire dix lieues pour arriver aux Escoumins, simple poste établi

  1. L’annexion du Canada aux États-Unis a toujours été plus ou moins ouvertement convoitée par un grand nombre d’esprits éclairés.