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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/74

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qui y a déposé l’impérissable trésor de ses souvenirs. Pauvre cher petit cap ! Tu n’as pas un sentier, aujourd’hui perdu sous les dépouilles entassées de plusieurs automnes, pas un vieux tronc d’arbre noir, rabougri, déchiqueté, pas un rocher que je ne revoie comme de vieilles connaissances ; je les salue du regard et ils ont l’air de me sourire, ces confidents muets de tant de drames intimes à jamais ignorés. Ah ! souffles du nord-est, brises des marées montantes, parfums âpres de la grêve, venez un instant rafraîchir mon front humide des sueurs de la vie : passez sur ces rides d’hier, et effacez la trace des années que je n’ai pas vécues depuis lors ! À moi ! mon beau passé disparu, mes espérances envolées, mes vingt ans ! enterrés sous dix autres. Allons, bon, voilà que je dis mon âge : on oublie tout dans les transports du lyrisme, jusqu’au lecteur qu’on a égaré avec soi et qui suit sans rien comprendre, attendant qu’on ait repris ses sens.

Le lecteur n’est pas toujours un être intelligent, comme cela a été surabondamment démontré par tous les génies méconnus avant le mien ; aussi j’en ai un suprême dédain, et j’entends bien dire tout ce qui me passe par la tête. Je pourrais bien faire encore une colonne de poésie sentimentale, ça n’est pas plus difficile que ça ; mais il fait bien chaud :


Et comme j’écrivais cette page où j’exhume,
Le dernier souvenir de mon bonheur passé,
Un maringouin s’en vint se poser sur ma plume,
Et jusques à mes doigts fût bientôt arrivé…


Il n’y a rien qui change l’allure d’une chronique comme le bourdonnement d’un maringouin ; avez-vous