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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/76

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venue, en effet, puisque ce n’est que de la porte voisine que je viens… Pendant que j’y pense, monsieur, vous êtes étranger ? — Comme le Juif dans la terre sainte. — Est-ce que vous ne me feriez pas un peu la charité ?… ”

J’examine et je côtoie ma visiteuse des pieds à la tête : je reconnais une ancienne solliciteuse de jadis. — « Mais, est-ce que vous n’avez aucun moyen d’existence, par exemple des fils qui peuvent travailler pour vous ? — Oui, j’ai trois grands garçons. — Que font-ils ? — L’un est marchand. — Marchand ! alors il doit vous venir en aide. — Oui, mais c’est pas un marchand comme j’en ai vu !… — Comme quoi donc ? — Il vend des guenilles aux portes. Mon second fils est officier. — Bigre, vaillante carrière ! celui-là, du moins, doit faire quelque chose pour vous ? — Ça se pourrait, mais c’est pas un officier comme il y en a !… lui, il balaie les offices des avocats. — Et le troisième garçon ? — Il est seigneur. — Corne de bœuf ! Seigneur ! pour le coup, en voilà assurément un qui ne peut pas vous laisser mendier. — Ben clair, mais c’est pas un seigneur ah ! ah !… il saigne les cochons et on lui donne le sang. »

Kamouraska est un des plus jolis et des plus anciens endroits de la rive sud ; les grands viveurs l’ont de tout temps illustré. Il y a quinze ou vingt ans, quand la rage des stations d’eau fashionables n’avait pas encore fait déserter nos plus belles campagnes, aller à l’eau salée voulait dire aller à Kamouraska. Aussi, quelles joyeuses et intimes familles s’y réunissaient tous les étés, et quelle bonne vieille gaieté fine et franche !