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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/158

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VOYAGES

montagnes, la locomotive plonge et replonge, tourne et retourne, frémissante, allègre, joyeuse, jetant des cris qui font dresser l’oreille aux échos étonnés, contournant les rochers, descendant avec les pentes, puis se redressant lentement pour gravir quelque plateau, comme un baigneur qui émerge de l’onde. Nous montons, nous montons sans cesse et sans nous en douter, tant il y a de détours et d’évolutions, jusqu’au sommet des Sierras qui bientôt vont apparaître dans toute leur grandeur sauvage et luxuriante à la fois. Nous passons le Pic du Diable, un seul bloc de pierre haut de mille pieds, aux arêtes vives, semblable à un géant pétrifié au moment où il voulait escalader les nues ; nous passons la tombe de la Vierge, tertre solitaire surmonté d’une croix de vingt pieds, qui renferme la dépouille d’une jeune fille morte à dix-huit ans dans cet endroit même où elle accompagnait une troupe d’émigrants, alors qu’il y avait à peine un chemin tracé dans l’immense solitude. De temps à autre, les plaines d’alcali apparaissent encore sous forme de taches de cinq, dix et quinze milles de longueur, mais on sent que la nature fait enfin un effort suprême pour secouer son enveloppe aride et qu’elle s’agite dans son sépulcre de sable. Les Sierras-Nevada sont le fruit de ce travail formidable ; aussi elle jaillissent, imposantes et splendides, poussant dans tous les sens leurs rameaux altiers, et jettent au désert un défi que mille échos répètent, à mesure que le train poursuit sa course retentissante.

Nous ne sommes encore qu’à cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer, mais l’ascension est continue, les sommets des montagnes se rapprochent, les forêts qui bordent leurs flancs envoient à tous les vents de l’air leurs puissants parfums ; la solitude inanimée a disparu ; on sent