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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/109

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veux étaient disposés autour de son grand front, de manière à dissimuler la calvitie partielle de ses tempes. Il y avait aussi une certaine dignité imperceptible répandue sur toute sa personne, qui provenait peut-être du haut rang qu’il occupait, ou de l’habitude de ne fréquenter que les grands, car il ne l’avait pas dans son jeune temps, où un certain ton de garnison se mêlait à l’aisance de ses manières. Pourtant, même à présent, la dignité n’était pas le trait saillant qui le caractérisât ; et dans les occasions ordinaires, ainsi que dans une société mêlée, il avait trouvé qu’une certaine franchise familière était un moyen de dissimulation qui lui réussissait mieux. Au moment dont nous parlons, lord Vargrave s’appuyait la tête sur l’une de ses mains, tandis que l’autre reposait oisive sur des papiers méthodiquement rangés, qui se trouvaient devant lui. Il semblait avoir suspendu ses travaux, et s’être plongé dans ses réflexions. Lord Vargrave était, à vrai dire, à une époque critique dans sa carrière.

Depuis son avènement à la pairie, l’élévation de Lumley Ferrers avait été moins rapide et moins progressive qu’il ne l’aurait pu prévoir. Au début tout avait paru lui sourire ; il avait réussi à se rendre utile à son parti ; il s’était en même temps rendu populaire personnellement. À l’aisance et à la cordialité de ses manières engageantes, il unissait cette affectation de franchise insouciante qu’on prend si souvent pour de la droiture. D’autre part, comme il n’y avait rien de frappant, rien de brillant dans son talent ou dans son éloquence, rien en somme qui visât plus haut que les prétentions d’autrui, et qui éveillât l’envie en froissant l’amour-propre, il suscita peu de jalousies, même parmi les rivaux qu’il dépassait en route. Pendant quelque temps il continua donc sans encombre son chemin, s’élevant toujours dans l’estime de son parti, et s’attirant un certain respect de la part du public neutre, par des talents signalés et incontestables dans le détail des affaires ; car sa prompte pénétration et son esprit logique lui permettaient de saisir et de généraliser les minuties des travaux officiels, ou des ordonmances législatives, avec un rare succès. Mais à mesure que la route s’aplanissait sous ses pas, son ambition devenait plus manifeste et plus hardie. Il était naturellement despotique et présomptueux, et son ancienne souplesse vis-à-vis de ses supérieurs fit bientôt place à une opiniâtreté impérieuse, qui souvent mécontenta les plus arrogants d’entre les chefs de son parti, et froissa les plus vaniteux. Ses pré-