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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/199

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« Je ne puis endurer plus longtemps ce supplice, se dit Maltravers ; j’ai trop compté sur mes forces. La voir ainsi, jour après jour, et savoir qu’elle appartient à un autre ! Me tordre d’angoisse quand j’entends Vargrave invoquer tranquillement ses droits ! Heureux Vargrave ! Et pourtant… elle… sera-t-elle heureuse ? Ah ! que je voudrais le croire ! »

En rêvant ainsi, il laissa tomber les rênes sur le cou de son cheval, qui revint tranquillement vers le village, où il s’arrêta comme par la force de l’habitude à la porte d’une chaumière située à quelques pas de la loge de Burleigh. En effet, Maltravers s’était arrêté régulièrement pendant plusieurs jours de suite à cette porte ; la chaumière était maintenant occupée par la pauvre femme dont nous avons précédemment raconté l’entrevue avec lui. Elle était remise des premières suites de ses blessures ; mais sa constitution, déjà éprouvée par les souffrances et l’épuisement qu’elle avait subis précédemment, avait reçu un ébranlement mortel. Elle était blessée intérieurement ; et le médecin avait déclaré à Maltravers qu’elle n’avait que peu de mois à vivre. Il l’avait placée sous le toit d’un de ses tenanciers favoris, où elle recevait tout le soulagement et tous les secours que pouvaient lui donner des soins empressés et les conseils d’un médecin.

Cette pauvre femme, qui s’appelait Sarah Elton, intéressait vivement Maltravers. Elle avait connu des jours plus fortunés : il y avait une certaine convenance dans ses expressions qui indiquait une éducation supérieure à sa position ; et ce qui le touchait le plus, elle semblait plus affligée de la mort de son mari que de ses propres souffrances : chose assez rare chez une veuve qui a passé la quarantaine. On a coutume de dire que la jeunesse se console facilement des larcins de la tombe, l’âge mûr sait se consoler bien mieux encore. Quand mistress Elton se vit installée dans la Chaumière, elle regarda tout autour d’elle, puis elle fondit en larmes.

« Et William n’est pas ici ! dit-elle. Des amis !… Si nous avions seulement eu un ami pareil avant qu’il mourût ! »

Maltravers fut content que sa première pensée eût été plutôt de regret pour les morts que de reconnaissance pour les vivants. Pourtant mistress Elton était reconnaissante ; simplement, franchement, et profondément reconnaissante. Ses manières, sa voix, tout l’indiquait. Elle paraissait si heureuse quand son bienfaiteur venait la voir pour lui parler