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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/214

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— Ah ! ah ! Il faut que je me sauve ! »

« Plus on donnera de publicité à cet engagement, et plus il sera difficile pour Éveline de se montrer récalcitrante au moment critique, se dit tout bas Vargrave en fermant la porte. C’est ainsi que je fais tourner toutes choses à mon profit ! »

Les convives étaient assemblés dans le grand salon, quand on annonça Maltravers et Cleveland, également invités au banquet. Lord Raby reçut le premier avec un empressement marqué ; et l’imposante marquise l’honora de son plus gracieux sourire. On échangea de cérémonieuses présentations avec les autres invités ; et ce ne fut qu’après avoir fait le tour du salon que Maltravers aperçut, assis tout seul, dans un coin où il s’était réfugié quand Maltravers était entré, un vieillard aux cheveux blancs… c’était lord Saxingham ! La dernière fois qu’il s’étaient rencontrés, c’était auprès du lit de mort de Florence ; et le vieillard oublia, pour le moment, le titre de duc qu’il ambitionnait, et le rang de premier ministre qu’il rêvait ! Son cœur s’envola auprès de la tombe de son unique enfant ! Ils s’abordèrent et se serrèrent la main silencieusement. Vargrave, dont le regard les épiait, Vargrave dont les artifices avaient privé ce vieillard de son enfant, n’éprouva pas un remords ! Vivant toujours dans l’avenir, il semblait qu’il eût perdu la mémoire du passé. Il ne connaissait pas le regret. C’est une des conditions de l’existence des hommes qui appartiennent complétement au monde, qu’ils ne regardent jamais en arrière.

Le signal fut donné. Les invités passèrent, selon l’ordre voulu, dans la salle de banquet, pièce spacieuse et élevée, qui avait été décorée en dernier lieu par Inigo Jones, bien que le plafond massif, avec ses mascarons antiques et grotesques accusât une date bien plus ancienne, et fît contraste avec les pilastres corinthiens qui ornaient les murs et soutenaient la galerie de musique. Cette galerie était ornée de drapeaux et d’insignes guerriers. L’aigle de Napoléon, témoignage des services militaires du frère de lord Raby, officier de cavalerie qui s’était distingué à Waterloo, était placée à côté d’une bannière aux couleurs plus vives et plus brillantes, emblème de la gloire martiale de lord Raby lui-même, en sa qualité de colonel des volontaires du comté de B***.

La musique retentissait du haut de la galerie : la vaisselle plate étincelait sur la table : les ladies portaient des dia-