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vis d’elle ; mais maintenant tout l’homme était changé ; le mentor avait cédé la place à l’amant : il vivait du souffle d’Éveline. La moindre volonté de celle-ci semblait être devenue sa loi ; jamais sa profonde adoration n’était altérée par des moments de froideur ; une douceur inquiète, timide, vigilante avait remplacé sa calme et froide dignité. Éveline vit qu’elle était aimée, et alors elle examina son propre cœur.

J’ai déjà dit qu’elle était douce même jusqu’à la faiblesse ; que sa sensibilité lui rendait douloureuse la pensée de causer du chagrin aux autres ; d’ailleurs elle avait une si grande vénération pour Maltravers, elle lui était si reconnaissante d’un sentiment qui ne pouvait que flatter son amour-propre et la relever à ses propres yeux, qu’elle sentit qu’il lui serait impossible de repousser son amour.

« Ai-je donc pour lui l’amour que je m’étais crue capable de ressentir ? se demandait-elle, et son cœur ne lui faisait pas de réponse intelligible. — Oui ! cela doit être ; en sa présence j’éprouve un charme éloquent et paisible ; ses éloges me rendent heureuse ; son estime est ma plus haute ambition ; et pourtant… et pourtant… »

Elle soupira et pensa à Legard.

« Mais il ne m’aimait pas lui ! et dans son trouble elle s’efforça de chasser cette image. — Il ne pense qu’au monde, qu’au plaisir. Maltravers a raison : les enfants gâtés de la société ne savent pas aimer. Pourquoi songerais-je à lui ? »

Il n’y avait pas d’autres invités chez les Montaigne que Maltravers, Éveline, lord et lady Doltimore. La gracieuse vivacité de Teresa charma Éveline, bien que cette vivacité ne fût plus ce qu’elle avait été avant le malheur de son frère. Leurs enfants, dont quelques-uns étaient grands maintenant, formaient une famille aimable et intelligente ; et Montaigne lui-même était agréable et séduisant, en dépit de son calme et froid extérieur et de son goût pour les discussions philosophiques. Éveline écoutait souvent toute rêveuse l’éloge que faisait Teresa de son mari, et ses descriptions du bonheur qu’elle avait trouvé dans un mariage où il y avait une si grande disproportion d’âge. Éveline commençait à douter de la vérité de ses premières visions d’amour.

Caroline vit l’attachement évident de Maltravers avec la même indifférence qu’elle avait envisagé les prétentions de Legard. Peu lui importait quelle serait la main qui dégagerait Éveline et elle-même à la fois des trames de Vargrave.