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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/428

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Il continuait à avoir l’air de ne s’apercevoir de rien, à prendre l’événement prochain comme une chose toute naturelle, et il témoignait à Éveline un attachement si doux, si peu familier, si respectueux, si délicat, qu’il ne laissait à la pauvre enfant aucune occasion de lui faire des confidences ou des plaintes. Pauvre Éveline ! sa gaîté, sa vivacité enchanteresse, l’enjouement aimable et enfantin de ses manières, avaient complétement disparu. Pâle, languissante, passive et triste, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Cependant le temps s’écoulait et le jour fatal était proche ; elle frémissait, mais sans jamais songer à la résistance. Combien de victimes semblables, de son âge et de son sexe, sont traînées à l’autel !

Un jour, dans la matinée, lord Vargrave se rendait auprès d’Éveline. Il avait été faire quelques visites politiques dans le faubourg Saint Germain, et en ce moment il traversait la partie la plus retirée et la moins fréquentée du jardin des Tuileries ; il cheminait les mains derrière le dos, selon l’ancienne habitude qu’il avait conservée, et les yeux fixés à terre. Soudain un homme, qui était assis seul sous un arbre, et qui depuis quelques moments épiait ses pas d’un regard inquiet et farouche, se leva et s’approcha de lui. Lord Vargrave ne s’en aperçut point, jusqu’au moment où cet homme lui posa la main sur le bras, en s’écriant :

« C’est lui ! c’est bien lui ! Lumley Ferrers, nous nous retrouvons donc enfin ! »

Lord Vargrave tressaillit et changea de couleur en reconnaissant l’importun.

« Ferrers, continua Cesarini (car c’était lui), et il entrelaça fortement son bras dans celui de Vargrave : vous n’avez pas changé ; votre pas est toujours léger ; vos joues ont les couleurs de la santé ; et cependant moi… vous pouvez à peine me reconnaître. Oh ! j’ai souffert horriblement depuis que nous nous sommes vus ! Pourquoi cela ?… pourquoi ai-je été si cruellement puni ? pendant que vous, vous avez échappé à votre part légitime du châtiment ? Le ciel n’est pas juste ! »

Castruccio était dans un de ses moments lucides ; mais il y avait quelque chose dans son regard incertain, dans le son étrange et peu naturel de sa voix, qui indiquait qu’un souffle pourrait faire fondre l’avalanche. Lord Vargrave regarda tout autour de lui avec anxiété, il n’y avait pas une âme près de là ; mais il savait que les endroits plus fréquentés du jardin étaient remplis de monde, et il apercevait, à travers