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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/98

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pouvait ouvertement s’offenser, trahissaient chez lui l’homme qui affecte de s’affranchir des entraves polies de la société ; il semblait se reprocher d’avoir été jadis trop soucieux de ne pas blesser l’amour-propre des autres ; maintenant il y était trop indifférent. Mais si quelquefois Éveline se sentait étonnée et affligée en lui voyant déployer ce côté défavorable de son caractère dans ses rapports avec les autres, le contraste de sa conduite avec elle était une flatterie trop délicieuse pour ne pas effacer toutes les autres impressions. Le son de sa voix s’adoucissait toujours lorsqu’il lui parlait ; son esprit se pliait toujours au niveau de ses capacités, comme par sympathie, et non par condescendance ; pour elle, si jeune, si timide, si peu savante, il ne dédaignait pas de déployer toutes les richesses de son érudition, tout ce que son esprit contenait de meilleur et de plus brillant. Dans sa modestie, elle s’étonnait d’une préférence aussi singulière, préférence que pouvait peut-être expliquer le compliment brusque et franc que lui adressa un jour Maltravers. Elle avait causé avec lui plus librement et plus longtemps que d’habitude, lorsqu’il l’interrompit soudain par cette exclamation imprévue :

« Miss Cameron, depuis votre enfance, vous avez dû fréquenter de belles âmes. Je vois déjà que vous n’avez rien à redouter de la contagion du monde, si méprisable qu’il soit. Je vous ai entendu aborder les sujets les plus divers, et quelques-uns même que vous ne connaissiez qu’imparfaitement ; mais vous n’avez jamais exprimé une idée mesquine, ou un sentiment faux. La vérité semble intuitive chez vous. »

C’était en effet cette rare pureté de cœur qui faisait le grand charme d’Éveline Cameron aux yeux de cet homme las du monde. De cette pureté découlaient, comme d’un cœur de poète, mille pensées nouvelles, angéliques, pleines d’une sagesse qui leur était propre ; ces pensées ramenaient souvent l’austère auditeur aux années de sa jeunesse, et le réconciliaient avec la vie. Le sage Maltravers recevait d’Éveline plus d’enseignements qu’Éveline n’en recevait de lui.

Il y avait cependant chez lui un autre trait de caractère, plus saillant que l’inégalité de son humeur, qui, contrairement à celle-ci, se manifestait d’une manière plus évidente à Éveline qu’aux autres : C’était son mépris pour tout ce que le jeune et naïf enthousiasme d’Éveline vénérait le plus :