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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/106

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présentez mes compliments à M. Hazeldean, et dites-lui que lorsqu’il nous fera l’honneur de venir nous voir à Roodhall, j’espère que les façons de nos paysans le feront rougir de ceux d’Hazeldean. »

Ô pauvre squire ! Hazeldean rougir devant Roodhall ! Si l’on vous eût reporté ce message, jamais vous n’eussiez relevé la tête !

En achevant ces paroles amères, Randal sauta par-dessus la barrière qui conduisait dans les champs du curé, laissant Lenny toujours occupé à tâter son nez et M. Stirn toujours incliné jusqu’à terre.


CHAPITRE III.

Si Lenny Fairfield avait cru, dans la simplicité de son cœur et dans la naïveté de son expérience, que M. Stirn lui adresserait quelques éloges sur sa valeur, quelques paroles de sympathie pour les coups qu’il avait reçus, il s’aperçut bientôt qu’il s’était fortement trompé. Cet homme vraiment grand, ce digne premier ministre d’Hazeldean, eût pu, à la rigueur, pardonner une infraction à ses ordres, si une telle infraction eût été avantageuse aux intérêts du service, ou eût pu tourner à l’honneur du chef ; mais il était inexorable pour ce qui est le comble de la maladresse en affaires, une soumission inopportune, aveugle, outrée, qui, si elle est la preuve du dévouement de l’employé, met le patron dans l’embarras. À ceux qui n’ont pas approfondi les mystères du cœur humain et qui ignorent les sentiments naturels à des premiers ministres, ou à ceux qu’on appelle des bras droits, il pourrait paraître naturel que M. Stirn, toujours chapeau en main, au beau milieu du chemin, blessé, humilié, exaspéré par la mortification que venait de lui infliger Randal Leslie, fît retomber sur le jeune gentilhomme tout le poids de son ressentiment. Loin de là : un manque d’étiquette aussi grand qu’un ressentiment envers un supérieur était la dernière pensée qui eût pu naître dans la tête intelligente du premier ministre d’Hazeldean. Cependant comme la rage, semblable à la vapeur, doit trouver une issue, M. Stirn, sentant, comme il le dit plus tard à sa femme, que son cœur était en ébullition, chercha, avec l’instinct naturel de la conservation, une soupape de sûreté, et la vapeur qui était en lui se déchargea sur Lenny Fairfield. Il enfonça fièrement son chapeau sur sa tête et soulagea ainsi son cœur :

« Petit coquin ! maudit serpent ! Et tout cela pendant le saint office du soir, quand tu devais être à l’église à prier pour tes supérieurs ! Au lieu de ça, tu es là à te battre avec un jeune gentilhomme qui venait faire visite à ton maître ! Cet établissement de la paroisse que tu devais garder, protéger, venir l’ensanglanter avec ton polisson de nez ! »