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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/107

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Et en disant ces mots, M. Stirn, comme pour arranger les choses, se disposa à lancer un nouveau coup au pauvre nez meurtri ; mais Lenny mit machinalement ses deux mains devant son visage pour le protéger, et la main de M. Stirn alla frapper contre les larges boutons de cuivre qui ornaient la manche de son habit. Lenny, dont l’humeur s’échauffait à la pensée d’une injustice aussi criante (c’était du moins ce qu’il pensait dans son cerveau étroit), mit un tronc d’arbre entre M. Stirn et lui et entreprit de se justifier, acte aussi impolitique qu’imprudent ; car, dans un cas pareil, se justifier, c’était récriminer.

« Ah ! monsieur Stirn, ça m’étonne de votre part ; si ma mère vous entendait ! Vous savez bien que c’est vous qui m’avez empêché d’aller à l’église, c’est vous qui m’avez dit…

— Battre un jeune gentilhomme, et encore un dimanche ! s’écria M. Stirn avec un rire sardonique. Oui, sans doute, je vous ai dit de déshonorer le squire, moi et la paroisse, et de mettre tout sens dessus dessous. Mais le squire m’a dit de faire un exemple, et j’en ferai un. »

En disant ces mots, une pensée lumineuse, prompte comme l’éclair, jaillit de la tête de M. Stirn. Il mettrait Lenny dans ces mêmes ceps que le pauvre garçon avait trop fidèlement gardés. Eurêka ! l’exemple était trouvé. Il allait enfin pouvoir satisfaire sa haine cachée contre le modèle du village. En choisissant le meilleur garçon de la paroisse, il frapperait de terreur les plus mauvais ; il pourrait ainsi apaiser la dignité offensée de Randal Leslie ; il pourrait offrir au squire une expiation palpable de l’affront fait à son jeune visiteur. Enfin, il donnerait au squire la preuve d’une prompte obéissance au désir exprimé par celui-ci, à savoir : que les ceps fussent pourvus aussitôt que possible d’un locataire. Joignant l’action à la pensée, M. Stirn s’élança aussitôt sur sa victime, la saisit par le collet de sa jaquette, et quelques instants après, les grandes mâchoires des ceps s’étaient ouvertes et Lenny Fairfield y avait été englouti. Triste exemple des vicissitudes de la fortune ! Cela fait, et pendant que l’enfant était trop étonné, trop saisi par un malheur aussi soudain pour résister, comme il aurait pu le faire, M. Stirn se hâta de quitter la place, sans oublier toutefois, de ramasser et d’empocher la demi-couronne destinée à Lenny, que celui-ci avait presque oubliée, tant avaient été violentes ses émotions. Stirn se rendit de là à l’église avec l’intention de se placer tout près de la porte, de mettre la main sur le squire aussitôt qu’il sortirait, de lui dire à l’oreille tout ce qui s’était passé, et de le conduire, suivi de tous les fidèles, vers la victime offerte en expiation aux deux divinités Némésis et Thémis.