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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/157

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héros des poèmes épiques, ne peut devenir un objet de raillerie et de mépris, sans que ceux qui ont appris dès leur enfance à implorer le Tout-Puissant et à adorer l’Éternel, ne soient ébranlés dans leur conscience et émus d’indignation. De même que le daim se dérobe instinctivement à la poursuite du tigre, de même qu’on recule terrifié à la vue du scorpion, dont on ne connaît pas même la forme, ainsi à la lecture de quelques mots profanes que lui indiqua le doigt noir du chaudronnier, Lenny sentit son sang se glacer dans ses veines. Les ouvrages grossiers, licencieux, ne tentèrent pas non plus le jeune paysan, non-seulement grâce à l’innocence de sa vie rustique, mais grâce surtout à un gardien bien autrement sûr, — le génie ! Le génie qui, fort, robuste, plein de vie, conserve longtemps son instinctive et dorienne modestie. Timide parce qu’il est sensible à la gloire, le génie se plaît à rêver, mais auprès des touffes de violettes et non sur un fumier. C’est pourquoi, jusque dans les égarements des sens, il cherche à se soustraire au matérialisme pour se réfugier en imagination dans une atmosphère plus pure et plus sereine.

Le génie de Lenny était en ce moment exclusivement dirigé vers le positif et l’utile. Il avait pris la direction naturelle à la sphère où il vivait, à savoir l’étude des arts que nous appelons mécaniques. Il éprouvait le besoin de comprendre quelque chose aux machines à vapeur et aux puits artésiens, et, pour arriver à cette connaissance, il lui fallait avoir quelques notions de mécanique et d’hydrostatique. Aussi acheta-t-il les livres élémentaires qui traitent de ces sciences, et toute l’énergie de son esprit s’y concentra.

Nobles et généreux esprits qui, dédaigneux de la gloire comme des richesses, avez ouvert à l’intelligence des pauvres les portails du temple de la science, je vous honore et vous révère ! Seulement, ne croyez pas avoir fait tout ce qui est nécessaire. Considérez, je vous prie, si un jeune homme que la religion n’aurait pas mis à l’abri des influences pestilentielles, et que le génie personnel n’aurait pas poussé au perfectionnement moral de son être, eût fait d’aussi bons choix dans le sac du chaudronnier ; et cependant Lenny n’échappa pas entièrement à ce qu’il y avait de nuisible dans les éléments bigarrés d’où son esprit tirait sa nourriture. Ne croyez pas qu’il n’y eut que de l’oxygène pur dans cette atmosphère que ses lèvres aspiraient avec ardeur. Non. Il y avait là encore des livres incendiaires. Je ne les appellerai pas des livres politiques, car le mot de politique implique un gouvernement quelconque, et les traités dont je parle attaquaient toutes les formes de gouvernement reconnues jusqu’ici par le genre humain.