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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/158

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CHAPITRE VI.

Le printemps était revenu, et par une belle journée du mois de mai, Léonard Fairfield était assis auprès de la petite fontaine qu’il avait réussi à construire dans le jardin. Les papillons voltigeaient sur la plate-bande de fleurs dont il avait entouré la fontaine, et les oiseaux chantaient dans les airs. Léonard Fairfield se reposait des fatigues de la journée en prenant son frugal repas sur les bords de la fontaine qui reflétait les rayons du soleil, et plus que jamais possédé du désir de s’instruire, il dévorait un livre tout en mangeant son pain.

La brochure à un sou, voilà pour la littérature le grand moyen de propagande : grâce à elle, une foule de livres, qui seraient demeurés inconnus au grand nombre, font leur chemin dans le monde. La brochure à un sou cite un écrivain célèbre… on est avide de le lire ; elle appuie une assertion étrange d’une autorité grave : vous êtes impatient d’y recourir. Pendant les soirées de l’hiver qui venait de s’écouler, l’esprit de Léonard avait fait de rapides progrès. Il s’était enseigné à lui-même la mécanique, dont il avait poussé l’étude plus loin que les éléments, et avait appliqué les principes qu’il avait acquis. Il ne s’était pas contenté de consacrer à sa fontaine les connaissances qu’il avait sur les machines hydrauliques, ni d’appliquer sa science d’une manière encore plus remarquable en faisant servir la rivière où Jackeymo pêchait des vérons, à arroser deux champs ; il avait encore imaginé mille moyens ingénieux de faciliter et d’abréger les travaux de la campagne, qui avaient excité une grande admiration parmi les habitants du pays et lui avaient valu leurs félicitations. D’un autre côté, les brochures furibondes qui disposaient si sommairement des destinées de l’humanité, même alors que sa raison croissante et son intelligence, familiarisées avec des œuvres plus classiques et plus rationnelles, l’avaient amené à penser qu’elles étaient l’ouvrage de gens ignorants, et à deviner que l’auteur sautait des prémisses aux conclusions avec une célérité peu conforme aux procédés sévères de la logique, l’avaient néanmoins, par les citations qui y abondaient, entraîné à étudier les ouvrages de philosophes plus spécieux, partant plus dangereux. Il avait pris dans le sac du chaudronnier une traduction de l’ouvrage de Condorcet, intitulé : Esquisse des progrès de l’esprit humain, et une autre du Contrat social, de Rousseau. Ces éloquents ouvrages l’avaient conduit à rechercher parmi les brochures du chaudronnier celles qui abondaient en professions de philanthropie et en prophéties relatives à la prochaine arrivée d’un âge d’or en comparaison duquel celui du vieux Saturne ne serait qu’une