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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/161

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CHAPITRE VII.

Peu de temps après ce discours de Riccabocca, un incident vint donner une nouvelle direction aux pensées de Léonard. Un soir que sa mère était sortie, il s’occupait à construire une nouvelle petite machine, et il eut le malheur de casser un des instruments dont il se servait. On se souvient que son père avait été maître charpentier du squire : sa mère avait soigneusement conservé les outils du pauvre Mark, et, quoique de temps en temps elle consentît à les prêter à Lenny, elle ne voulait pas les lui abandonner tout à fait. Parmi ces outils, Léonard savait qu’il trouverait celui dont il avait besoin ; et comme sa petite invention l’intéressait vivement, il ne put attendre le retour de sa mère. Les outils et les autres souvenirs du pauvre défunt, étaient renfermés dans une grande malle, placée dans la chambre à coucher de Mme Fairfeld. La malle n’était pas fermée, et Léonard l’ouvrit sans le moindre scrupule. En cherchant l’instrument ses yeux tombèrent sur une liasse de manuscrits. Il se rappela aussitôt qu’étant encore enfant, et avant qu’il comprît la différence qui existe entre les vers et la prose, sa mère lui avait montré ces manuscrits et lui avait dit : « Un jour, quand tu liras bien, je te donnerai ces papiers, Lenny. C’est mon pauvre Mark qui a écrit ces vers… Ah ! c’était un savant, lui. » Léonard pensa, avec assez de raison, que le moment était venu où il était digne de lire ces lignes, tracées par son père, et ce fut avec un intérêt mêlé de tristesse qu’il ouvrit le manuscrit. Il reconnut l’écriture de son père qu’il avait déjà vue auparavant dans des livres de comptes ou dans des mémorandum, et il lut avec avidité quelques petits poèmes qui ne témoignaient pas d’un grand génie, ni d’une grande habileté dans le maniement du rhythme et du langage ; bref de petits poèmes qu’un homme à demi instruit, ayant le goût et le sentiment de la poésie plutôt que l’inspiration d’un poète ou le génie artistique, peut s’honorer d’avoir composés, sans prétendre pour cela à la renommée. Mais voici qu’en feuilletant ces « Morceaux de circonstance, » les yeux de Léonard tombèrent sur une autre écriture, une écriture de femme, petite, fine, et parfaitement formée. À peine eut-il lu cinq ou six lignes de ces autres poèmes que son attention fut complètement captivée. Bien supérieurs à ceux du pauvre Mark, ils étaient incontestablement marqués au sceau du génie. C’était d’un bout à l’autre le récit d’un sentiment vif et profond ; comme toutes les poésies féminines, ce n’était pas le miroir du monde entier, c’était la peinture fidèle d’un cœur isolé. Et ce genre de poésie est celui qui plaît toujours le plus à la jeunesse. Les vers en question avaient de plus un profond intérêt