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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/162

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pour le jeune jardinier : ils peignaient un combat semblable à celui que Lenny se livrait à lui-même. L’auteur semblait gémir de sa condition actuelle, et murmurer d’un ton mélodieux des plaintes sur les injustices du sort.

Léonard était encore absorbé par la lecture de ces poèmes, quand mistress Fairfield entra dans la chambre.

« Qu’as-tu fait, Lenny ? Tu as fouillé dans ma boîte ?

— J’étais venu chercher un outil dans ceux de mon père, et j’ai trouvé ces papiers, ma mère ; vous m’aviez dit que je les lirais un jour.

— Ah ! je ne suis plus surprise que tu ne m’aies pas entendue entrer ! dit la veuve en soupirant. Je restais là des heures entières quand mon pauvre Mark me lisait ses poèmes. Il y en avait un si joli sur le Foyer du paysan, Lenny, l’as-tu lu ?

— Oui, chère mère, et j’ai remarqué les allusions qui se rapportent à vous. Les larmes m’en sont venues aux yeux. Mais ces vers-ci ne sont pas de mon père ; de qui sont-ils ? On dirait une écriture de femme. »

Mistress Fairfield ouvrit de grands yeux, pâlit, trembla, et s’assit tout émue.

« Pauvre, pauvre Nora ! dit elle d’une voix étouffée. Je ne les savais pas là : Mark les avait pris ; ils étaient avec…

Léonard. Qui était Nora ?

Mistress Fairfield. Qui ? enfant… qui ?… Nora était ma… ma propre sœur….

Léonard (au comble de la surprise, tant l’idéal qu’il s’est formé de l’auteur de ces vers écrits d’une si belle main, contraste avec sa mère si simple, et qui ne sait ni lire ni écrire). Votre sœur… Est-ce possible ! Ma tante, alors ? Comment se fait-il que vous ne m’ayez jamais parlé d’elle ; vous devriez en être si fière, ma mère !

Mistress Fairfield (serrant les mains l’une contre l’autre). Oui, nous étions fiers d’elle, tous… père, mère, tous ! Elle était si belle, si bonne, point du tout haute et pourtant on aurait dit la plus grande dame du monde. Ô Nora ! Nora !

Léonard (après un moment de silence). Mais elle avait dû recevoir une belle éducation ?

Mistress Fairfield. Oh, certes !

Léonard. Comment cela ?

Mistress Fairfield (s’agitant sur sa chaise). Milady était sa marraine. J’entends lady Lansmere. Elle l’avait prise en affection, quand elle n’était pas plus haute que ça. Elle la gardait au château, et Nora ne quittait pas Sa Seigneurie. Et puis elle l’envoya à l’école, et Nora était si intelligente, que rien ne put l’empêcher de se rendre à Londres pour être gouvernante. Mais ne parle pas de cela, mon enfant ! ne parle pas de cela !

Léonard. Pourquoi non, ma mère ? Qu’est-elle devenue ? Où est-elle ?

Mistress Fairfield (éclatant en sanglots). Dans la tombe ! Sous une pierre du cimetière. Elle est morte ! morte ! »