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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/187

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doit rester ignorant, que celui d’affirmer que le riche seul doit être libre, et que le clergé doit seul enseigner les vérités de la rédemption. Tu fais remarquer avec justesse, dans ta dissertation, que la science nous initie à d’autres plaisirs que ceux des sens, et nous ouvre des horizons qui s’étendent au delà de la vie de chaque jour. La différence entre nous, c’est que tu oublies que cette même science qui nous civilise, nous expose à de nouvelles peines en même temps qu’elle nous donne de nouveaux plaisirs : la main calleuse du paysan ne sent pas les orties qui piquent l’épiderme délicat du gentleman. Tu oublies aussi qu’à mesure que s’accroissent nos désirs, s’accroissent aussi les tentations. La vanité, la recherche de la louange, l’orgueil, le sentiment de la supériorité, la susceptibilité maladive, le dédain des plaisirs simples qu’on goûte en dehors des jouissances intellectuelles, l’ardeur désordonnée de l’imagination, voilà assurément les premières séductions qui entourent l’homme au moment de son initiation à la science. »

Léonard se couvrit le visage de sa main.

Riccabocca. Et si tu n’es pas satisfait des excellentes définitions de notre curé, tu n’as qu’à lire ce que lord Bacon lui-même a dit du véritable but de la science. Tu comprendras alors combien ce pauvre grand homme, que M. Dale traite si durement, se serait irrité, s’il avait su qu’on métamorphosait ses définitions si étudiées, ses maximes si prudentes en ce bref et pédant aphorisme, et qu’on interprétait si mal tout ce qu’il avait fait pour asseoir sur une base stable le pouvoir et l’autorité de la science. Car, ajouta le philosophe, si ma mémoire ne me trompe pas, après avoir dit que la plus grande erreur vient de ce qu’on interprète mal ou qu’on déplace le but de la science, et, après avoir énuméré les divers objets en vue desquels on la recherche ordinairement, lord Bacon continue en disant : « La science n’est pas une boutique destinée au gain et au commerce, mais un arsenal bien fourni, un riche trésor consacré à la gloire de l’auteur de toutes choses et à l’adoucissement de la condition humaine. »

Le curé. Les livres saints nous disent la même chose ; car, après avoir établi cette vérité, que, pour la multitude, la science n’est pas nécessaire au bonheur et à la vertu, ils accordent à la science une part sublime dans la révélation préparée et annoncée. Lorsque Dieu, dans ses desseins, voulut avoir pour instrument une intelligence plus qu’ordinaire ; lorsque l’Évangile, gravé dans la mémoire des simples, eut besoin d’être expliqué par les habiles, d’être renforcé par les esprits ardents, d’être défendu contre les doutes des gentils, la volonté suprême adjoignit au zèle des premiers apôtres, la science et le génie de saint Paul ; et celui-ci, qui se disait le dernier de tous, travailla cependant plus abondamment que les autres.

« L’ignorant peut être sauvé tout aussi sûrement que le savant, mais la science aide à le sauver ! »

Le digne homme, vaincu par sa propre émotion, s’arrêta ; sa tête se pencha sur le sein du jeune étudiant, et tous trois gardèrent longtemps le silence.